La pandémie de la COVID 19 a bouleversé nos certitudes. L’infiniment petit à fait vaciller des systèmes entiers et le principe même de l’interconnexion de nos économies mondialisées. Jamais, dans l’histoire de la civilisation, la notion de « village planétaire » n’avait à ce point montré qu’à côté de ses merveilleuses promesses, elle portait également, en son sein, les germes d’une périlleuse fragilité. Wuhan, si loin, mais si proche…
L’on a tendance à se répéter que plus rien ne sera jamais comme avant. Les conséquences sociales, économiques, et même culturelles de cette pandémie n’ont pas encore fini d’être cernées. En Afrique et dans de nombreuses autres régions du monde, il semblerait que les fameux « pics » soient encore devant nous. Il n’empêche, si le temps a semblé suspendre son vol à la faveur du confinement, du semi-confinement ou de l’état d’urgence, la réflexion sur les défis structurants posés à notre intelligence collective ne saurait prendre de repos.
Les mesures prises à l’échelle mondiale pour limiter la propagation du virus ont mis en lumière certains effets pervers saillants ; pour chaque état souverain il se pose la question d’une redéfinition de son essentiel, de ce qu’il faut, vaille que vaille, savoir assurer seul, avec son propre tissu productif national. A n’en pas douter, le digital fait figure d’épine dorsale de cette souveraineté redéfinie.
Partout, ce sont les boites à outils du digital qui ont permis d’assurer une certaine forme de continuité par la téléprésence ou visioconférence. Que ce soit à l’école, dans les entreprises ou encore dans les administrations, les octets ont maintenu le lien entre les hommes. Notre pays n’a pas fait exception.
La vision prospective du Président de la République, Son Excellence Monsieur Macky SALL, s’était déjà manifestée dans la mue accélérée d’un portefeuille ministériel : de Ministère en charge des Téléservices de l’État, nous sommes passés, il y a quelques mois déjà, à un Ministère de l’Économie Numérique. C’était plus qu’une question de nomenclature ; le statut transversal et structurant du digital consacré à l’économie toute entière.
La politique numérique de notre pays est précisément définie dans le Plan Sénégal Émergent et la stratégie SN2025. L’objectif est ambitieux : atteindre la 4ème place en Afrique dans le classement mondial de l’indice de développement des TIC (ICT Développement Index), mais aussi impacter le PIB à hauteur de 10% avec la création d’au moins 216 000 emplois directs d’ici 2025.
Ce sont donc les grands projets d’infrastructure numérique qui ont contribué à la résilience digitale de notre économie pendant cette période. Le nouveau Code des communications électroniques, adopté en 2018, pose déjà le cadre d’une libération des énergies dans le secteur. Ensuite, cette crise a frappé notre pays à un moment où les équipes de l’ADIE avaient déjà, à travers le projet « Large bande », déployé plus de 4500 km de fibre optique sur le territoire national, assurant ainsi la connectivité très haut débit de plus de 1000 bâtiments administratifs. Ce faisant, il a été possible d’assurer la continuité des échanges d’informations entre démembrements de l’Administration sur une infrastructure parfaitement sécurisée et monitorée.
Ces grands projets ont également mis en branle un processus de dématérialisation du lien entre l’Administration et les administrés en tant que personnes physiques ou morales. Ce sont aujourd’hui plus de 100 procédures qui ont été rendues accessibles en ligne par les équipes de l’ADIE sur la plateforme teledac.gouv.sn. L’impact en termes de gains de productivité et de qualité perçue dans le service rendu aux citoyens est significatif.
Le programme « Smart Sénégal » à travers une de ces composantes, permet de construire des « maisons du citoyen » dans les 45 départements du Sénégal. Cette idée de création d’agrégateurs de services digitalisés de l’Administration va marquer la prochaine étape de ce puissant processus de modernisation. Avec la mise en service de ces bâtiments d’ici début 2021, une nouvelle ère va donc s’ouvrir, impactant positivement les relations entre Administration et administrés.
« Smart Sénégal » engage la modernisation du système éducatif national à travers le projet « Smart Education », d’où une amélioration substantielle du dispositif de connectivité, grâce à l’installation de salles multimédias, de studios d’enregistrement dans les universités, des Espaces Numériques Ouverts et au sein des écoles afin de favoriser le téléenseignement et de démocratiser l’accès au savoir.
La sécurité est également une composante clé de ce projet qui prévoit le déploiement d’un certain nombre de caméras intelligentes de vidéosurveillance et de centres de commandement pour faciliter le travail aux forces de défense et de sécurité (FDS).
La pandémie COVID 19 a donc frappé un pays, le Sénégal où la matérialisation de la vision du Chef de l’État relative au numérique avait déjà permis de disposer du substrat essentiel de la résilience nécessaire à la continuité de l’activité. L’élargissement de la bande passante internationale, le futur Datacenter tiers-trois de Diamniadio, la démocratisation de l’accès au haut débit par l’ouverture de l’infrastructure étatique ou encore le fonds spécial administré par la Délégation à l’Entreprenariat Rapide en faveur des « Start-ups » sont autant d’initiatives structurantes pour le secteur.
A côté de ces enjeux structurels, les agents de l’ADIE ont fait preuve, pendant cette période, d’une réelle agilité conjoncturelle que j’aimerais ici saluer. Il s’agit de diverses matérialisations dont : i) le Conseil des ministres en téléprésence pour assurer la parfaite coordination de l’action gouvernementale tout en respectant la distanciation physique ; ii) du Chatbot Dr. COVID dédié à l’information sur la pandémie ou encore la plateforme d’aide à la diaspora (forcecovid19diaspora.gouv.sn) ; iii) du Téléenseignement et télémédecine qui ont été rendus possibles par l’interconnexion des différents bâtiments publics dans des conditions de latences réseau compatibles avec ces usages.
Je voudrais, à cet effet, adresser mes félicitations aux agents de l’ADIE que j’ai l’honneur de diriger, considérés comme des acteurs de première ligne dans la stratégie nationale de riposte.
Mais l’État ne peut pas tout. Je souhaite ici lancer un appel au secteur privé national qui, trop souvent, tend à brider sa capacité d’innovation face à des obstacles épistémologiques difficiles à cerner. Il y a bien d’autres champs à investiguer que celui de la commande publique. L’innovation n’est pas un luxe réservé aux grandes puissances. Les plus grandes vagues d’innovation de l’histoire ont trouvé racine dans des périodes de crise et il ne faudrait pas que nous fassions exception.
L’Intelligence artificielle, la blockchain, les cryptomonnaies, l’internet des objets, le Big Data, l’Open Data, toutes ces tendances lourdes qui vont façonner notre quotidien dans les temps qui viennent, doivent devenir des questions éminemment africaines avec l’émergence de champions régionaux qui penseront le leapfrog technologique au lieu de le subir. Nous avons besoin de ce génie créateur sénégalais pour être à l’avant-garde de ces grandes transformations.
Déjà, des initiatives très prometteuses ont été constatées comme « Dr. Car », ce robot conçu par les élèves de l’ESP, les respirateurs artificiels imprimés en 3D, ou encore ces différentes solutions informatiques d’aide à la traçabilité des malades. Mais il faut aller beaucoup plus loin en développant une véritable culture de la synergie interfécondante des entreprises, universités, groupes de recherche, « start-ups » et institutions financières.
L’État en général et l’ADIE en particulier, seront là, à chaque étape, pour organiser, simplifier, faciliter et encourager le processus afin de s’assurer que la question du digital, dans le contexte d’un Sénégal post-COVID, soit posée comme enjeu majeur de la nouvelle souveraineté, construite sur des briques technologiques « Made in Senegal ».
Cheikh BAKHOUM
DG ADIE