Ma réponse à une caricature grossière de mon pays et de mon peuple
Le Sénégal qui gagne, c’est l’entrepreneur honnête, l’ouvrier, l’agriculteur, l’éleveur et le fonctionnaire consciencieux, la bonne dame qui court les marchés pour épauler son pauvre mari croulant sous le poids des charges familiales, l’enseignant qui pense plus à l’avenir de ses élèves qu’à son propre confort matériel, le médecin, le magistrat, le militaire mesurant à sa juste valeur la responsabilité qui pèse sur ses épaules, le journaliste qui traite son sujet avec autant d’art que le chirurgien, l’animateur qui sème la culture dans les intelligences, semblable au paysan qui ensemence son champ. Le Sénégal qui gagne, c’est le pêcheur qui passe la nuit en mer le cœur plein d’amour pour sa famille, c’est le bachelier n’éprouvant aucune honte à se faire marchand ambulant, bouquiniste, apprenti ou rabatteur s’il s’agit de soulager les siens, c’est la personne handicapée à la fierté entière, c’est le pauvre riche en valeur, c’est le riche pauvre en égoïsme… Le Sénégal qui gagne, c’est le sportif, l’étudiant et le chercheur qui s’épuisent à la tâche sans oublier que la défaite parfois balise le chemin de la victoire, c’est l’artiste qui comble les cœurs et éveille les consciences, c’est l’homme politique qui vit les joies et les souffrances de son peuple et qui sait le sens du patriotisme, c’est le chef religieux imbu de spiritualité et soucieux de la moralité et du salut de ses fidèles, c’est le prêcheur sincère qui ne cherche pas à plaire ni à nuire, c’est l’homme ou la femme qui se bat pour l’amélioration du sort de sa famille, de ses concitoyens…
Le Sénégal qui gagne, c’est le drapeau de l’espoir, de la richesse et du courage dansant au rythme des koras et des balafons, c’est le lion rouge rugissant, c’est le Jambar offrant sa vie, c’est Coumba, la mère nourricière, prompte à régaler le monde… Le Sénégal qui gagne, c’est ce peuple debout, pareil à un baobab riche de sa diversité : ces hommes et ces femmes, ces jeunes et ces adultes, dans les villages, les villes et les bidonvilles, les villas cossues et les chaumières. Je ne peux pas tous les nommer : ils sont ici et ailleurs, dispersés dans les quatre coins du monde. Ils sont d’aujourd’hui, d’hier et de demain. Ce sont eux qui, dans les ténèbres de l’esclavage et de la colonisation, ont levé l’étendard contre l’envahisseur, et qui, dans la paix des daras, ont fait se tenir debout l’aïeul face aux flammes des cases brulées et aux déflagrations des canons, à Touba, Tivaouane, Thianaba, Medina Baye, Diama Laye, Ndiassane, Guewoul, et autres. C’est le Sénégal qui gagne quand la mémoire de Birago va chercher du bois mort pour entretenir le foyer ardent des contes d’Amadou Coumba, quand Senghor et Sadji Abdoulaye racontent Ndoumbelane, comme pour prévenir le règne menaçant de la jungle. C’est le Sénégal qui gagne quand Cheikh Anta, dans le secret de son laboratoire, arpente les chemins humbles parcourus par l’ancêtre. De même quand Mamadou Dia se purifie l’âme et le cœur dans les cachots de Kédougou, quand Wade refuse de marcher sur des cadavres, quand Diouf félicite son adversaire avant l’heure… C’est le Sénégal qui gagne, le Sénégal que j’aime, lorsque, dépassant les divergences, ce peuple se retrouve, au pied de l’arbre de vie, pour dialoguer et s’entendre sur l’essentiel…
Le Sénégal qui gagne et que j’aime, c’est celui-là en construction dans la paix, l’entente et la solidarité, et qui affine son système démocratique, renforce les droits et les libertés, marchant résolument du parti unique aux quatre courants idéologiques puis au multipartisme intégral, du vote sans isoloir sans carte d’identité au vote secret et contrôlé, d’un organe de presse à deux puis à une pléthore, du Théâtre Daniel Sorano au Théâtre Doudou Ndiaye Coumba Rose, du musée Théodore Monod au musée des Civilisations noires, de la colline nue des Mamelles au monument de la Renaissance africaine, du train au TER à la relance des chemins de fer, de la SOTRAC aux 3D puis au BRT, des pirogues aux ferries puis aux ponts enjambant les fleuves et les bras de mer, des secours aux indigents aux bourses de sécurité familiale, etc.
Hélas, il faut le dire, s’il y a le Sénégal des forces positives, qui gagne et que j’aime, il y a aussi le Sénégal des forces négatives, qui perd et que je n’aime pas, et qui ne saurait comprendre le parrainage par le khalife des Mourides d’un président catholique ni le pourquoi du dialogue islamo-chrétien ni le comment du Festival mondial des arts nègres. Il ne s’agit pas seulement du Sénégal des casseurs qui piétinent le drapeau, chahutent l’hymne national, insultent tout et tout le monde et mettent le feu à des biens publics et privés, mais aussi de celui du laisser-aller et du je m’en foutisme érigés en code de conduite jusque dans l’administration et à l’Assemblée nationale, celui des coins de rue-urinoirs, de l’affichage sauvage et des marchés proliférants, celui de l’inégalité sociale, de l’éducation au rabais et de l’intolérance, celui des enfants-talibé, des filles exploitées et des mères abandonnées, celui du désespoir d’une frange de la jeunesse préférant mourir dans la méditerranée que s’ennuyer à longueur d’année dans les quartiers pauvres des centre-ville et des banlieues, et pour qui, malheureusement, la révolte devient un loisir, l’insolence une arme et la destruction une solution…
Et les faux prophètes, inspirateurs de cette colère juvénile, dans le but d’enflammer davantage les cœurs, de théoriser le Sénégal infernal, malade de tout ce qu’abhorrent la démocratie et la vie sociale, mais fictif celui-là, à peine concevable, et qui n’existe que dans les têtes fumeuses de ses inventeurs et de leurs adeptes qui, pareils aux dragons cracheur de feu, n’ouvrent la gueule que pour consumer le réel, le réduire en cendre…
Mais, je vous le dis, peuple du lion : encore une fois, la victoire suivra la victoire : le Sénégal qui gagne gagnera, le Sénégal que j’aime triomphera. Et se dissiperont les ténèbres. Ceignons-nous donc les reins et retroussons-nous les manches : notre quête est loin d’être terminée : il nous reste du chemin à parcourir. Ceignons-nous les reins, et, épaule contre épaule, œuvrons, encore, beaucoup, toujours…
ABDOU KHADRE GAYE, AKG
Écrivain, président de l’EMAD