Les économies émergentes et en développement verront leur croissance s’accélérer en 2020, notamment pour celles qui sortent d’une période de marasme économique. La hausse des niveaux d’endettement et le ralentissement de la productivité imposent des défis pour l’action publique.
Après avoir connu sa plus faible performance depuis la crise financière mondiale, l’économie mondiale s’apprête à enregistrer un léger rebond cette année — si tout va bien.
Deux phénomènes pèsent en outre sur cette reprise léthargique, faisant planer des doutes sur la trajectoire de la croissance économique : le gonflement sans précédent de la dette dans le monde et le ralentissement prolongé de la croissance de la productivité, dont la progression est indispensable à l’amélioration du niveau de vie et à l’élimination de la pauvreté.
Selon les Perspectives économiques mondiales de la Banque mondiale, la croissance mondiale devrait s’établir à 2,5 % cette année, soit une légère hausse par rapport aux 2,4 % de 2019, à la faveur de la reprise progressive des échanges commerciaux et des investissements. Elle devrait marquer le pas dans les économies avancées, et passer de 1,6 % à 1,4 %, principalement en raison de la faiblesse persistante du secteur manufacturier.
Les économies émergentes et en développement verront quant à elles la croissance s’accélérer à 4,1 %, contre 3,5 % l’an dernier. Toutefois, la reprise devrait venir en grande partie de quelques grands marchés émergents qui sortent d’une période de marasme économique ou qui se stabilisent après une récession ou des turbulences. Pour de nombreuses autres économies, la croissance devrait ralentir car les exportations et les investissements restent faibles.
L’atonie de la croissance a ceci de préoccupant que même si la reprise dans les économies émergentes et en développement est conforme aux prévisions, le taux de croissance par habitant restera inférieur aux moyennes à long terme et progressera trop lentement pour atteindre les objectifs d’élimination de la pauvreté. C’est en Afrique subsaharienne, où vivent 56 % des pauvres de la planète, que la croissance du revenu devrait être la plus lente.
Qui plus est, cette reprise poussive est exposée à toutes sortes de menaces. Les différends commerciaux pourraient connaître une nouvelle escalade. Un ralentissement de la croissance plus marqué que prévu dans les grandes économies telles que la Chine, les États-Unis ou la zone euro aurait également de vastes répercussions. Une résurgence des tensions financières sur les grands marchés émergents (comme ce fut le cas en Argentine et en Turquie en 2018), une intensification des tensions géopolitiques ou une série d’événements climatiques extrêmes pourraient tous avoir des conséquences délétères sur l’activité économique dans le monde entier.
Vague d’endettement
Dans les économies émergentes et en développement, la dette s’accumule avec une ampleur et un rythme sans précédent depuis 50 ans, assombrissant les perspectives de croissance. La dette totale de ces économies a grimpé à environ 170 % du PIB en 2018, contre 115 % en 2010. La dette des pays à faible revenu s’est en particulier accrue après avoir fortement diminué au cours de la période 2000-2010.
La vague d’endettement actuelle diffère des précédentes du fait de l’augmentation de la part de la dette publique détenue par des non-résidents et de la hausse de la dette privée libellée en devises dans les économies émergentes et en développement, et, pour les pays à faible revenu, de l’accroissement des emprunts sur les marchés financiers et auprès des créanciers bilatéraux non membres du Club de Paris. Cette situation suscite des inquiétudes en ce qui concerne la transparence de la dette et la collatéralisation.
Lorsqu’ils servent à financer des investissements favorisant la croissance, par exemple dans les infrastructures, les soins de santé et l’éducation, les emprunts publics peuvent être bénéfiques et stimuler le développement économique. Le gonflement de la dette peut également s’avérer utile en période de ralentissement comme moyen de stabiliser l’activité économique.
Toutefois, les vagues précédentes d’accumulation de la dette se sont mal terminées : défauts souverains au début des années 1980, crises financières de la fin des années 1990, nécessité d’un allégement de la dette massif dans les années 2000 et crise financière mondiale en 2008-2009. Et bien que les faibles taux d’intérêt actuels atténuent certaines menaces, une dette élevée comporte des risques importants. Elle peut rendre les pays vulnérables aux chocs extérieurs, limiter la capacité des gouvernements à contrer les ralentissements par des mesures de relance budgétaire et freiner la croissance à long terme en évinçant des investissements privés qui améliorent la productivité.
Les pouvoirs publics doivent donc prendre des mesures pour atténuer les risques associés au gonflement de la dette. Une gestion saine et transparente de la dette peut permettre de limiter les coûts d’emprunt, d’améliorer la soutenabilité de l’endettement et d’atténuer les risques budgétaires. De solides régimes de réglementation et de surveillance, une bonne gouvernance et des normes internationales communes peuvent contribuer à contenir les risques, à faire en sorte que la dette soit utilisée de manière productive et à cerner rapidement les faiblesses.
Ralentissement de la productivité
Le rythme décevant de la croissance mondiale s’explique aussi par le ralentissement généralisé de la croissance de la productivité observé au cours des dix dernières années. La croissance de la productivité (la production par travailleur) est essentielle à l’amélioration du niveau de vie et à la réalisation des objectifs de développement.
La dernière édition des Perspectives économiques mondiales propose un examen approfondi des tendances de la productivité, en s’attachant à mettre en évidence les répercussions du ralentissement de la productivité sur les économies émergentes et en développement. La production moyenne par travailleur dans ces pays représente moins d’un cinquième de celle observée dans les économies avancées, voire seulement 2 % en ce qui concerne les pays à faible revenu.
Alors que les économies émergentes et en développement ont connu par le passé des périodes de progression et de repli de la croissance de la productivité, le ralentissement observé entre 2007 et 2015, de 6,6 % à 3,2 %, est le plus marqué, le plus long et le plus large jamais enregistré. Il s’explique par plusieurs facteurs : le recul de l’investissement et des gains d’efficience, la diminution des gains provenant de la réaffectation des ressources vers des secteurs plus productifs et le ralentissement des progrès enregistrés dans des domaines qui constituent les principaux moteurs de la productivité, à savoir notamment l’éducation et la qualité des institutions.
Comment relancer la croissance de la productivité ? Les perspectives en la matière restent défavorables. Des efforts sont donc nécessaires pour stimuler l’investissement privé et public, améliorer les compétences de la main-d’œuvre afin de doper la productivité des entreprises, canaliser les ressources vers les secteurs les plus productifs, redynamiser l’adoption technologique et l’innovation, et promouvoir un environnement macroéconomique et institutionnel propice à la croissance.
Enfin, le rapport semestriel se penche sur deux autres questions : les conséquences négatives du contrôle des prix et les perspectives d’inflation dans les pays à faible revenu.
Si le contrôle des prix est parfois considéré comme un instrument utile pour lisser les fluctuations des prix de biens et de services comme l’énergie et les denrées alimentaires, il peut aussi freiner l’investissement et la croissance, aggraver la pauvreté et alourdir la charge budgétaire. Le remplacer par des filets de protection sociale élargis et ciblés, tout en encourageant la concurrence et en mettant en place un environnement réglementaire efficace, peut bénéficier à la fois à la lutte contre la pauvreté et à la croissance.
Par ailleurs, si l’inflation a fortement diminué dans les pays à faible revenu au cours des 25 dernières années, on ne saurait considérer comme acquis son maintien à un niveau bas et stable. Un faible taux d’inflation est associé à une production et à une situation de l’emploi plus stables, à des investissements plus importants et à une baisse du taux de pauvreté. Toutefois, la hausse des niveaux d’endettement et les pressions budgétaires pourraient exposer certaines économies à des perturbations susceptibles d’entraîner une forte hausse des prix. Le renforcement de l’indépendance et de la crédibilité des banques centrales, ainsi que la clarification des objectifs des autorités monétaires, sont essentiels pour préserver la stabilité des prix.
Alors que les perspectives économiques mondiales pour 2020 tablent sur une tendance haussière fragile, le degré d’incertitude qui entoure ces prévisions est élevé du fait de l’imprévisibilité du contexte politique, notamment en ce qui concerne les échanges commerciaux. Si les décideurs parviennent à atténuer les tensions et à clarifier les problèmes en suspens dans un certain nombre de domaines, ils pourraient donner tort aux prévisions et porter la croissance au-delà des anticipations.
Source : Banque mondiale