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jeudi, novembre 21, 2024
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Le Général Lamine Cissé est un des képis stabilisateurs des institutions du Sénégal (Par Babacar Justin Ndiaye)

« L’armée, c’est la nation » disait Napoléon. Le Général Lamine Cissé avait – en sa personne – allègrement fusionné les deux entités. Issu de la « Promotion Bir-Hakeim » (1961-1963) de l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr, le Lieutenant Lamine Cissé fut automatiquement catapulté dans les profondeurs du Sénégal, par le biais de l’arme du Génie qui, aux premières de l’indépendance, réalisa un urgent programme d’équipement du territoire, en infrastructures basiques et vitales. Une sorte de PUDC avant l’heure et avant la lettre. Affecté à la 1ère Compagnie des Travaux du Génie (CTG) de Kaolack, le jeune officier Lamine Cissé eut l’occasion de servir son pays, au plus près des populations et au contact direct des réalités, en participant à la construction de la route Kaffrine-Malème Hodar, à la réalisation des cuvettes rizicoles de Boundoum et de Kassala, à l’ouverture de la route latéritique Thilmakha-Darou Marnane sur une longueur de 12 kilomètres. Ajoutons-y les nombreux travaux de terrassements effectués dans le delta du Fleuve Sénégal !

Incroyablement, cette possibilité d’immersion immédiate et profonde dans les tréfonds de la nation a été imposée à l’officier subalterne Lamine Cissé, par le Colonel (futur Général) Jean-Alfred Diallo. En effet, le Lieutenant Cissé, porte-parole d’une poignée d’officiers honorés par une audience chez le CEMGA, a exprimé au Colonel, le désir collectif d’aller au Groupement Parachutiste (GP). Colère du chef d’Etat-major qui leur dit : « Foutez le camp…Sortez de mon bureau ! Toi, surtout, lieutenant Cissé, tu iras au Génie ». Rappelons que Jean-Alfred Diallo, un pur produit du Génie, aimait bien son arme d’origine. Une arme, tellement bien entourée de soins et de préventions, qu’elle a donné quatre CEMGA aux forces armées sénégalaises : les Généraux Jean-Alfred Diallo, Mouhamadou Keïta, Lamine Cissé et Mamadou Seck alias Faidherbe. Avec ce détail de taille : Lamine Cissé est promu Général – après une vraie acrobatie administrative – au titre du quota de l’infanterie, condition sine qua non pour succéder à son camarade de promotion (Mouhamadou Keita), à la tête des armées, en 1996. Avant de prendre le commandement des trois armes au Camp Dial Diop, Lamine Cissé avait, en ses grades de Lieutenant-Colonel et de Colonel, coiffé l’Ecole Polytechnique de Thiès, la Direction de la Documentation et de la Sécurité Extérieure (DDSE) et dirigé la Sécurité publique au sein de la Police nationale. L’officier natif de Sokone avait également servi aux Philippines, en qualité d’observateur pour le compte des Nations-Unies. Pour service exceptionnel rendu à la France, dans le Sud-Est asiatique, le Sénégalais Lamine Cissé a été décoré de la Légion d’Honneur.

Sa présence au sommet de la hiérarchie militaire a été brève mais meublée de décisions et d’actions, comme l’érection de Kolda en zone de défense numéro 6, placée sous les ordres du Colonel Babacar Gaye. Par ailleurs, Lamine Cissé a concrétisé le projet de création du Musée des forces armées, bien que l’idée ait germé, auparavant, dans l’esprit du Général Idrissa Fall, au moment de la mise en place des archives de la Défense nationale. Au plan opérationnel, la conjoncture a été nettement moins heureuse, notamment, en Casamance où un détachement de la crème des unités de choc est décimé, le 19 août 1997, à Mandina-Mancagne. Un revers dans le sud du pays qui a maculé d’une grosse tache de sang, le crépuscule de sa longue carrière militaire. Après avoir pris congé des armées, le Général de corps d’armée Lamine Cissé est devenu le ministre de l’Intérieur du Président Abdou Diouf, de 1997 à 2000. Une fonction qui a permis aux Sénégalais de découvrir que Lamine Cissé possède une tête politique bien posée sur un buste militaire.

Totalement en charge du dossier casamançais, le Ministre Lamine Cissé a vite initié des contacts officiels avec le MFDC dans la capitale gambienne : les fameux conclaves médiatisés sous les appellations de Banjul 1 et 2. Son ancrage familial dans les villes de Sokone et de Toubacouta (contrées frontalières de la Gambie) et la maitrise de sa langue maternelle (le Manding) ont rapidement brisé la glace entre le Président Yaya Jammeh et lui. Du reste, les deux hommes devenus familiers ont constamment discuté en anglais et en socé, lors de leurs séances de travail. Les mêmes atouts linguistiques ont inondé de chaleur, la relation entre le Général Lamine Cissé et le chef de la Junte militaire de Guinée-Bissau, le Général Ansoumane Mané. Ce qui a permis aux soldats sénégalais, de s’extraire – dans des conditions honorables – de « l’Opération Gabou » inexorablement vouée à l’enlisement. Longtemps après la mort tragique du Général Ansoumane Mané, le Général Lamine Cissé a entretenu une relation épistolaire très assidue avec Lamine Mané, le fils ainé du défunt chef de la Junte bissau-guinéenne qui vit entre Lisbonne et Banjul.

Sur le front politique, le ministre de l’Intérieur Lamine Cissé a donné toute la mesure de son savoir-faire et, surtout, de son doigté. D’emblée, le premier militaire en charge du maintien de l’ordre public et des élections, a jeté les bases d’un gentlemen-agreement avec l’opposition, aidé en cela par ses bons rapports avec Landing Savané, son interlocuteur préféré…en langue socé. Cette entente tacite avec les opposants a évité tout dérapage dans la rue et enveloppé de consensus, certaines étapes du processus électoral de 2000. Lequel a culminé avec l’alternance (pacifique) consécutive à quarante ans d’hégémonie socialiste. La seule fausse note a été le vacarme fait autour de la très nébuleuse affaire des « cartes israéliennes ». Dans l’esprit du Général Lamine Cissé, un ministre de l’Intérieur doit être plus astucieux que répressif. Une doctrine qui le rapproche de son célèbre et inamovible collègue du Maroc, le ministre-commissaire Driss Basri qui aimait dire : « Je fais plus de pression que de répression ». Il va sans dire que l’organisation et l’épilogue du scrutin historique de l’année 2000 ont été diversement appréciés. Certains caciques du PS ne sont pas de fervents admirateurs de Lamine Cissé. Je me suis laissé dire que le Président Abdou Diouf, en privé, n’est pas très tendre avec « ce soldat au cœur de la démocratie », pour emprunter le sous-titre du livre-mémoires du Général Lamine Cissé. Une controverse qui ne dissipera jamais le rôle stabilisateur voire salvateur que l’Officier-Général a joué durant cette période charnière et décisive de l’odyssée démocratique du Sénégal. Une responsabilité analogue – sans être identique – à la mission assignée aux Colonels Mamadou Diop (Gendarmerie) et Soya Cissokho (Armée), lors des troubles de mai 68.

Personnellement, j’ai connu le Général Lamine, après son départ du ministère de l’Intérieur. Fondateur de l’Observatoire International de la Démocratie et de la Gestion des Crises et des Conflits (OIDEC), le Général Cissé a été mon « collègue », durant 24 heures, dans un panel chargé par l’US AID, d’animer une conférence sur le rôle des armées en période de crises politiques dans les pays du tiers-monde. Nous sommes au lendemain du 19 mars 2000. C’est le point de départ d’une amitié profonde et féconde entre lui et moi. En mai 2003, le Général Lamine Cissé, déjà Représentant spécial de Kofi Annan en Centrafrique et chef du BONUCA, m’a décroché un contrat onusien de 21 jours, pour animer une série de conférences au profit de la presse centrafricaine, très balbutiante à l’époque. Un travail accompli aux côtés de notre compatriote Aïssatou Laba Touré, une ancienne de la RTS, actuellement fonctionnaire de l’ONU. A Bangui, entre 2001 et 2003, le Général Lamine Cissé s’est démené comme un diable dans un bénitier, afin d’éviter le clash entre le Président de la république, Ange-Félix Patassé, et son chef d’Etat-major, le Général François Bozizé. Sans succès.

En dehors de sa spécialité (compétence militaire) sur laquelle il m’est impossible d’émettre un jugement de valeur, le Général Lamine Cissé n’était pas nanti d’une culture encyclopédique. Il n’était pas une machine intellectuelle. En revanche, l’ancien CEMGA et ex-ministre de l’Intérieur mixait en lui, l’intelligence supérieure et l’expérience colossale. Je lui saurai toujours gré de tout ce qu’il a fait pour moi et de tout ce qu’il m’a dit sous le double sceau de la confidentialité et du secret. A ce propos, un souvenir remonte à la surface de ma mémoire : notre diner avec l’Impératrice Catherine, la veuve de Jean-Bedel Bokassa, dans son manoir situé sur la colline qui surplombe Bangui. Ce jour-là, la conversation a roulé sur les dessous de la mort violente et sanglante de l’épouse sénégalo-malienne du Président Houphouët Boigny, née Binetou Sylla, qui était la fille adoptive d’Amadou Hampaté Ba. A ne pas confondre avec l’ex- Première Dame, de Côte d’Ivoire : Thérèse Boigny. En effet, après la chute de l’Empereur Bokassa 1er, en 1979, Madame Catherine Bokassa a été accueillie à Yamoussoukro, dans le Palais présidentiel. Mais ça, c’est une autre histoire dans la panoplie des histoires secrètes qui ont leurs places dans des Mémoires et non dans un Laser.

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