Par Babou Biram FAYE
Le Sénégal, souvent cité comme un modèle démocratique en Afrique, a pourtant, été marqué par des manœuvres législatives controversées qui ont laissé des cicatrices profondes dans son histoire politique. Parmi ces lois, l’Amendement Niadiar Sène, la Loi Ezzan et la loi interprétative de la loi d’amnistie et d’autres qui sont antérieures, ont en commun d’avoir été imposées par les tenants du pouvoir dans un contexte de rapport de force politique. Présentées comme des décisions souveraines, elles ont, en réalité, servi des intérêts partisans, sapant ainsi les fondements de la démocratie et fragilisant les institutions.
Ces lois sont taillées sur mesure au gré des intérêts du pouvoir. Ce sont des textes législatifs qui, bien que différents dans leur formulation et leur contexte, poursuivent le même objectif consistant à consolider un pouvoir en place en modifiant les règles du jeu politique à son avantage.
Beaucoup de lois, aussi scélérates les unes les autres, ont marqué la scène politique sénégalaise, chacune ayant servi à consolider le pouvoir en place, à neutraliser des adversaires ou à remodeler le paysage politique selon des intérêts partisans.
Introduction du multipartisme limité
En 1976, sous le Président Léopold Sédar Senghor, le Sénégal adopte une réforme constitutionnelle instaurant un multipartisme limité à trois familles idéologiques que sont les socialistes, les libéraux et les communistes. Cette loi, bien qu’élargissant la compétition politique, restait une manœuvre pour structurer l’opposition et la contrôler.
Ce n’est qu’en 1981, avec le Président Abdou Diouf, que le multipartisme intégral est adopté, avec la réforme de 1991 et la limitation du mandat présidentiel.
Une révision constitutionnelle limite le mandat présidentiel à sept ans renouvelables une seule fois.
Si cette réforme semblait renforcer la démocratie, elle a été motivée par la nécessité de calmer les tensions avec l’opposition après les contestations électorales
En 1998, l’Amendement Niadiar Sène (du nom du député socialiste de Mbour) a modifié les conditions d’éligibilité à l’élection présidentielle, empêchant potentiellement certains candidats de se présenter. Cette réforme a été perçue comme une stratégie de verrouillage du pouvoir, instaurant une règle non par souci de démocratie, mais, pour barrer la route à des adversaires politiques.
Jeu de ping-pong entre Wade et Macky
Lors de son accession au pouvoir en 2000, Abdoulaye Wade fait voter une nouvelle Constitution en 2001, réduisant le mandat présidentiel à cinq ans renouvelable une seule fois. Cependant, en 2008, il fait modifier cette disposition pour revenir à un septennat, préparant ainsi son éventuelle réélection en 2012.
Entre temps, en 2011, le Président Abdoulaye Wade, dans son imagination fertile, a tenté d’imposer le ticket présidentiel. Cherchant à assurer une transition douce pour son fils Karim Wade, Wade père introduit une réforme visant à élire simultanément le président et le vice-président avec seulement 25 % des suffrages, au premier tour. Cette tentative provoque une mobilisation massive et conduit à l’échec de cette réforme qui a suscité la forte contestation du M23 et de toutes les forces vives de la Nation Sénégalaise. Et Macky Sall fut élu, à l’élection présidentielle de 2012, malgré la troisième candidature du Président Wade.
Après son élection en 2012, Macky Sall a organisé un référendum, en 2016, pour proposer des réformes en profondeur. Il ramène le mandat présidentiel à cinq ans. Mais, une décision du Conseil constitutionnel l’empêche de l’appliquer immédiatement, ce qui lui permet de faire un septennat au lieu de cinq ans. Cette réforme a, également, été perçue comme une manière de gérer son calendrier politique tout en conservant un cadre favorable à sa réélection.
En 2018, la loi sur le parrainage a également été une manœuvre politicienne. Adoptée sous Macky Sall, cette loi imposait à tout candidat à l’élection présidentielle de recueillir un nombre significatif de parrainages citoyens ou politiques. Présentée comme un moyen de rationaliser les candidatures, elle a été critiquée pour son caractère sélectif visant à limiter la participation de certains opposants.
La réforme du Code électoral de 2021 a abouti à l’invalidation de certaines candidatures. Avant les élections locales de 2022, certaines modifications du Code électoral ont permis d’invalider des candidatures d’opposants comme Ousmane Sonko à Ziguinchor. Cette réforme a renforcé la perception d’une instrumentalisation de la justice et du processus électoral.
Sonko et le Pastef dans le même tempo
A la veille de l’élection présidentielle de 2024, suite à une instabilité profonde née de la confrontation entre le pouvoir en place et l’opposition, notamment, le Pastef de Ousmane Sonko, le Président Macky Sall a utilisé le même procédé pour sauver le pays et se sauver lui- même, en faisant voter une loi d’amnistie ayant permis la sortie de prison de Sonko et ses partisans.
Derrière le discours officiel de réconciliation nationale, elle a été perçue comme une tentative d’effacer les fautes politiques et judiciaires de certains leaders pour leur permettre de revenir sur la scène publique sans entraves.
Aujourd’hui encore, l’histoire se répète. Une loi interprétative de cette loi d’amnistie de 2024, portée par le député Amadou Ba (différent de l’ancien Premier Ministre), adoptée sous le gouvernement actuel, s’inscrit dans la même logique. Avec son lot de tôlées, de critiques et batailles politiques sans rendement, qui chahutent, encore la stabilité nationale.
Conséquences désastreuses sur la démocratie et la stabilité nationale
Ces lois ont provoqué, à chaque fois, des réactions vives au sein de l’opinion publique et des acteurs politiques. Elles ont été dénoncées comme des atteintes à l’État de droit et à l’indépendance des institutions. L’impact de ces décisions se mesure à plusieurs niveaux: L’affaiblissement des institutions reste le premier impair noté dans de pareilles décisions unilatérales. En instrumentalisant l’Assemblée nationale pour voter des lois partisanes, ces régimes successifs ont réduit le Parlement à une simple chambre d’enregistrement des volontés du pouvoir exécutif.
Il s’y ajoute un désenchantement démocratique. À force de manipulations législatives, une partie de la population a perdu foi en la sincérité du jeu démocratique, renforçant l’abstention lors des élections et le rejet des élites politiques.
A cela, il faut, aussi, ajouter une instabilité politique accrue. Chaque adoption de ces lois a suscité des contestations et des tensions, parfois violentes, prouvant que ces manœuvres n’apportaient pas la paix sociale, mais, plutôt une crispation du débat public.
Une constance dans la manipulation des lois à des fins politiques
Depuis l’indépendance, chaque régime a utilisé des réformes législatives ou constitutionnelles pour consolider son pouvoir ou neutraliser des adversaires. Ces pratiques ont affaibli la confiance des citoyens dans les institutions et contribué à l’instabilité politique.
Si le Sénégal veut préserver sa démocratie, il devient impératif d’instaurer un cadre où les réformes sont véritablement au service du peuple et non des intérêts partisans. Il faut, donc, restaurer l’éthique politique. C’est une urgence démocratique qui se présente devant les politiques qui sont les garants des institutions et du peuple sénégalais.
Si le Sénégal veut préserver son modèle démocratique, il est impératif de mettre un terme à ces gymnastiques législatives opportunistes. Cela passe par un renforcement du rôle du Conseil constitutionnel pour éviter que des lois contraires aux principes démocratiques ne soient adoptées à des fins partisanes, une réforme du fonctionnement parlementaire afin de garantir une véritable séparation des pouvoirs et d’empêcher la majorité présidentielle de légiférer uniquement pour protéger ses intérêts et un engagement éthique des acteurs politiques qui doivent cesser d’instrumentaliser la loi pour des calculs électoralistes ou de protection personnelle.
L’histoire a montré que ces manipulations, loin de stabiliser le pays, ont nourri la méfiance, le désordre institutionnel et l’incertitude politique. Il est temps de rompre avec ces pratiques et de réhabiliter la souveraineté populaire, seule garante d’une démocratie saine et durable.
B.B.F.