Par Sara BOUKRI*
Les sociétés humaines sont nées des mouvements des populations. Nous sommes tous de ce fait des immigrés par le biais de nos ancêtres. Partant de ce constat, les anti-migrants sont tout simplement des anciens immigrés qui, souvent, vivent dans une situation confortable et qui refusent de partager ce confort avec les nouveaux arrivants. Comment un phénomène aussi naturel que la migration a pu se transformer en un sujet d’actualité qui fait les gros titres comme s’il s’agissait d’un phénomène inédit ? Comment le migrant, cet être humain qui entreprend une aventure humaine, souvent dans l’espoir d’avoir une condition meilleure pour lui et les siens, a pu se transformer en un criminel sans avoir commis aucun crime ?
Le mythe de la crise migratoire
Après le concept de la « crise économique » en 2008, c’est le concept de la « crise migratoire » qui est devenu à la mode en 2011. Si l’utilisation du premier peut être justifiée, cela n’est pas le cas du deuxième pour la simple raison qu’on qualifie de crise un phénomène inhabituel qui est amené à disparaître. Cela n’est pas le cas du phénomène migratoire qui a toujours existé et continuera de l’être.
La crise, si crise il y a, n’est pas celle des migrants mais celle de beaucoup de pays développés. Elle est économique, politique et identitaire. Ce n’est sûrement pas, comme on cherche à le faire croire, la faute des immigrés. C’est donner trop de pouvoir à ceux qui ne constituent une menace que pour eux-mêmes. Si on regarde de plus près, on peut aisément lire la décadence de ceux-là même dont les modèles démocratique et de gouvernance inspiraient le reste du monde. Malheureusement, dans beaucoup de pays, l’élite politique a troqué un discours basé sur de véritables valeurs contre un discours politique « marketing » dont la seule exactitude est l’orthographe. Ceci a pour unique objectif de mobiliser les foules et de récolter des voix. On ne se bat plus pour des idéaux mais pour des portefeuilles ministériels et tous les moyens sont bons pour y parvenir !
Migration européenne versus migration africaine en Europe : deux poids deux mesures
Depuis la naissance du concept de « crise migratoire », les discours haineux se multiplient, certains ont même osé clamer qu’il faudrait penser à un remède contre la migration, comme si celle-ci était une maladie à éradiquer. L’Europe a une longue histoire d’immigration, le continent tel qu’on le voit aujourd’hui est le fruit de mouvements migratoires qui se perpétuent jusqu’à nos jours. L’Europe, ce continent prospère, a toujours attiré les personnes désirant se construire une vie meilleure. La question qui se pose est comment peut-t-on passer d’un continent d’accueil des migrants à un continent qui leur est hostile.
En effet, les flux migratoires traditionnellement intra-européens n’ont jamais soulevé de questions, la problématique de la migration ne s’est posée que depuis que les flux migratoires ont commencé à provenir d’autres continents avec des immigrés de culture et de religions différentes.
Deux raisons expliquent cette réaction face à la migration en provenance de l’extérieur de l’Europe. La première est celle que les immigrés européens découlent de la même culture, la culture judéo-chrétienne, ce qui facilite leur intégration. Le seul frein qui pourrait subsister est celui de la langue, une fois cette dernière acquise, l’immigré se fond dans la masse. Par contre, quand il s’agit d’immigrés porteurs d’une culture et/ou religion différentes, les rites, les pratiques religieuses, les habitudes alimentaires etc. sont autant de facteurs qui favorisent le communautarisme qui n’est malheureusement pas le meilleur allié de l’intégration. Si vous ajoutez à cela une politique d’urbanisation sectaire, parquant les immigrés dans des sortes de ghettos, vous aurez un mélange explosif d’exclusion parsemé de ressentiments de part et d’autre de la société.
La deuxième raison est la montée des extrêmes dits mouvements populistes en Europe et dans le monde, ceux-là mêmes qui font de la migration leur fonds de commerce, sont les porte-voix des discours haineux anti-migrants et traitent le migrant de toutes les tares, souvent à tort, l’accusant d’être la cause de l’insécurité et du chômage.
L’importance des médias
Il y a deux types de médias qui véhiculent une mauvaise image de la migration et des migrants : ceux qui le font par ignorance et ceux qui sont complices et qui, pour augmenter leur audience vont « jouer le jeu » des extrêmes. Ils corrompent ainsi l’esprit des populations à coups de discours haineux et d’images choquantes de migrants « envahissants ». Les uns comme les autres sont dangereux. Pour les premiers, la solution est simple et peut se résumer en deux mots, information et formation.
Quand on parle d’information, on parle d’une information accessible et fiable. Si, aujourd’hui, on sait que beaucoup de pays de départ ne disposent ni de données fiables sur les migrations ni d’institutions capables de jouer le rôle d’interlocuteur principal, la question de la migration étant bien souvent gérée de manière sectorielle, on comprend qu’on a beau être de bonne foi, si l’accès à l’information est difficile, il serait alors tout aussi difficile de faire un journalisme d’information, mais il faudrait faire un journalisme d’investigation, souvent plus compliqué à réaliser.
Aussi, le domaine de la migration est particulier, il a ses propres concepts et définitions, les nuances y sont aussi dangereuses. Il suffit de changer parfois une syllabe pour que le concept change comme c’est le cas pour le mot « émigration » et « immigration ». Or, peu de journalistes sont au fait de ces différents concepts et définitions, il est donc important de former les journalistes et leur offrir ainsi les outils qui leur permettront d’analyser les situations, les chiffres… en connaissance de cause et devenir également moins manipulables.
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Concernant la deuxième catégorie, celle des médias « complices », la solution est de faire preuve d’intransigeance et de fermeté face aux discours haineux et racistes. Pour cela, l’intervention du législateur s’avère indispensable pour protéger les migrants. Des lois doivent de ce fait voir le jour, obligeant ainsi les médias comme toute autre personne à faire preuve de prudence quand il s’agit de parler d’un phénomène aussi naturel que la migration et de réfléchir à deux fois avant de porter atteinte aux migrants.
Pour une bonne gouvernance internationale des migrations
La protection des migrants doit être la préoccupation de tous. Depuis quelques années, nous percevons une prise de conscience de la part des pays, de la nécessité de mettre en place une meilleure gouvernance des migrations. De nombreuses initiatives ont ainsi vu le jour et d’importants cadres internationaux abordent explicitement la question migratoire, comme c’est le cas de l’Agenda 2030 des Nations unies, relatif aux Objectifs de Développement Durable ou encore de l’Agenda 2063 de l’Union africaine.
La dernière initiative en date est le « Pacte Mondial pour des Migrations Sûres, Ordonnées et Régulières » adopté à Marrakech en 2018 par 162 États. La révision du pacte a eu lieu du 31 août au 1er septembre dernier. Ce pacte a la particularité d’avoir placé le migrant au centre des préoccupations.
Les objectifs du Pacte visent ainsi à promouvoir une meilleure gouvernance et une gestion humaniste des migrations. Le but n’étant nullement, comme le pensent beaucoup, à tort, de stopper les migrations mais plutôt de protéger les migrants contre les abus, d’appeler les États à élargir les possibilités de la migration régulière et de lutter ainsi contre les réseaux de trafics. Il appelle aussi les pays à mettre en place des mécanismes visant à assurer une meilleure intégration des migrants, leur permettant ainsi d’être des acteurs productifs eu sein de leurs pays d’accueil.
Le pacte, comme d’autres instruments et cadres, n’est pas une finalité en soi mais un outil qui doit être accompagné d’une implémentation effective au niveau des États à travers la mise en place par ces derniers d’actions concrètes.
L’approche sécuritaire au service des migrants et non contre les migrants
Les pays développés devraient se rendre à l’évidence. Ils ne pourront pas vivre dans l’opulence alors que la famine ronge d’autres continents et arrêter les jeunes qui se précipitent à leurs portes à la recherche d’une vie décente. Et ces pays ne peuvent pas « externaliser » l’interception des migrants à d’autres pays si ce n’est dans une logique de coopération gagnant-gagnant, car la migration est l’affaire de tous.
Beaucoup pensent que l’approche sécuritaire qui consiste à barricader les frontières est la solution, oubliant que la personne qui quitte sa terre natale et ses proches pour s’embarquer dans l’inconnu et entamer « l’aventure migratoire », n’a pas dit au revoir à ses proches, mais adieu. Elle sait qu’elle risque de ne plus les revoir et en même temps, qu’elle a porté son sac à dos rempli de maigres munitions. Une personne qui n’a plus peur de la mort, n’a plus peur de rien et ce ne sont pas des murs ou des grilles qui vont l’arrêter. Pour elle, l’équation est simple, rester et mourir ou partir et risquer de mourir. C’est l’instinct de survie qui l’emporte.
Un durcissement des barrières sécuritaires loin de dissuader les migrants va plutôt mener à la création de nouvelles routes migratoires pour dévier celles qui sont bloquées et va augmenter le profit des passeurs qui vont élever leurs tarifs en justifiant cela par la complexité de la route qui sera empruntée.
Encore une fois, il demeure important de ne pas confondre humanisme et laxisme. L’approche sécuritaire doit être de ce fait destinée à protéger les migrants en combattant les réseaux de trafics de toutes sortes, qui trouvent en ces derniers des proies faciles et profitent de leur détresse pour les exploiter sous différentes formes.
Le Maroc s’est démarqué dans ce sens. En effet, la politique migratoire marocaine initiée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, sacré champion de l’Union africaine sur la question de la migration, a fait de la gestion humaniste de la question migratoire son crédo. La politique migratoire du Maroc se veut ferme envers les réseaux de trafics, en témoignent les chiffres liés aux interceptions des réseaux de trafics. Et en même temps humaniste envers les migrants, en témoignent le nombre de régularisations accordées et les services offerts aux immigrés.
Faire de la migration un choix et non une obligation
Pour beaucoup de migrants, la migration est une question de survie. Beaucoup avec leurs familles sont dans des situations précaires voire de pauvreté extrême, ce qui les pousse à vouloir quitter leurs pays pour aller tenter leur chance sous d’autres cieux plus cléments.
La solution est donc d’offrir à ces personnes le choix de rester ou de partir. Les politiques d’aide au développement ont démontré leurs limites, elles ne sont souvent pas renforcées par des mécanismes de suivi permettant de mesurer l’impact réel sur les populations.
L’Afrique est riche d’abord par sa jeune population et puis par ses ressources naturelles. Aujourd’hui, l’Afrique doit changer sa relation avec les autres pays. Une des mesures qui me semblent nécessaires pour que les pays africains puissent se défaire de la tutelle des puissances et voler de leurs propres ailes est d’appliquer le proverbe chinois qui dit « Quand un homme a faim, mieux vaut lui appendre à pêcher que de lui donner un poisson », en d’autres termes les pays africains doivent refuser de vendre leurs matières premières en l’état et imposer leur transformation sur place dans un pourcentage à définir. Cela devra indéniablement passer par une refonte profonde de la politique relative à la gestion des ressources nationales.
La question migratoire est une question primordiale et l’Afrique doit se munir des outils lui permettant d’écrire sa propre histoire de la migration. Contrairement aux idées reçues, 80% de la migration africaine est intra-africaine.
*Docteure en Sciences Politiques, experte en migration