PROJET DE LOI D’AMNISTIE
Honorables,
Dans un esprit de réconciliation nationale, le Président de la République, Macky Sall, va saisir l’Assemblée nationale pour un projet de loi d’amnistie adopté en Conseil des ministres, et se rapportant aux actes commis au cours des troubles que notre pays a traversées de 2021 à 2024.
Quand bien même cette prérogative prévue dans notre Loi fondamentale, en son article 67, lui accorde ce privilège constitutionnel, n’empêche, nous aussi, peuple souverain, avons notre mot à dire sur ce projet de loi d’amnistie annoncé publiquement par le Président de la République, lors du dialogue national qu’il avait convoqué le 26 février dernier au Centre international de conférence Abdou Diouf (Cicad) de Diamniadio.
Chers Députés,
Vous voilà devant l’Histoire ! comme vos prédécesseurs l’ont été, en avril 1976, lorsqu’il s’est agi d’amnistier Mamadou Dia, Président du Conseil du Sénégal, après qu’il ait été gracié en 1974 par son «bourreau», le Président Senghor ; tout comme en juillet 1991, sous le magistère du Président Abdou Diouf qui, voulant faire la paix, avait effaçait «toutes les infractions criminelles ou correctionnelles commises entre le 1er aout 1987 et le 1er juin, tant au Sénégal qu’à l’étranger, en relation avec les événements de la Casamance». Last but not least, la loi Ezzan votée en janvier 2005, sous le régime libéral du Président Me Abdoulaye Wade, dans une atmosphère de vives tensions. La loi Ezzan proposait d’effacer les crimes et abus après l’élection présidentielle contestée de 1993 où, il faut le rappeler, un membre éminent du Conseil constitutionnel, Me Babacar Sèye a été sauvagement assassiné.
Aujourd’hui encore, l’histoire semble bégayer avec son projet de loi d’amnistie qui vise les évènements sanglants ayant secoué notre pays en mars 2021. Comment un projet de loi d’amnistie peut-il être brandi dans ce contexte-ci pour accorder un privilège injuste à des personnes qui, pour des faits abominables lâchement accomplis sur leurs concitoyens, devraient échapper aux conséquences de leurs actes. Alors que la promesse faite au peuple sénégalais par le Président Macky Sall était de châtier tous les coupables.
Honorables,
Depuis 2021, vous le savez bien, le sang a coulé à flots, abondamment. N’entendez-vous les détonations des lacrymogènes retentir encore dans la clameur des émeutes d’une violence inouïe jamais égalée ? Souvenez-vous de l’affreuse tragédie qui a occasionné le décès de deux filles, mortes calcinées, et des morts par balles ? Rappelez-vous de ces nombreuses victimes qui ont été appelées à la désobéissance civile, à l’insurrection, à la rébellion, aux complots contre la sûreté de l’Etat ?
Dans le peuple, des voix s’insurgent déjà contre toute impunité pour ces faits commis dans des conditions atroces, œuvres d’hommes et de femmes, de jeunes et moins jeunes qui, frappés de condamnations sévères, leur séjour en geôle leur conférant l’auréole des martyrs, avaient la certitude d’être graciés ou amnistiés.
Honorables,
Ce projet de loi d’amnistie intervient dans un contexte très chargé, c’est-à-dire un Sénégal fissuré, en décomposition. Il projette malheureusement vos concitoyens dans un labyrinthe de «non-dits». Revenant de manière cyclique dans notre Parlement et toujours en de pareilles, cette enième amnistie politicienne ne compromet-il pas la justice et l’égalité des citoyens devant la loi ?
Chers députés,
Ne vous laisser pas tombés dans le dilemme de l’âne de Buridan, comme dirait l’autre. Car, il y a des moments où votre voix intérieure devrait vous guider dans votre choix à prendre la bonne décision, de ne point perdre de vue, au moins pour cette fois-ci, qu’il s’agit d’amnistier des faits, des évènements tragiques et douloureux où des charges d’une extrême gravité ont été imputés à une cohorte d’émeutiers, à des «terroristes» méprisés par la majorité des Sénégalais. Leurs actes ont failli déstabiliser le pays, n’eut été la vigilance soutenue de nos Forces de défense et de sécurité? Nous, peuple souverain, attendons plutôt la manifestation de la vérité. Rien d’autre.
Nous le savons bien, tout comme Albert Sarraut, que «l’amnistie devait désarmer la haine, est un pacte moral, non un expédient, pour celui qui l’accorde ou celui qui en tire avantage puisqu’elle devait aussi bien anéantir le fait qui avait été la cause de la punition que l’esprit de récidive». Oui, il faut être indulgent envers les égarés, mais impitoyable envers les professionnels de l’insolence, l’arrogance, l’indiscipline, de l’impolitesse, de l’agitation, qui ont, malheureusement, enjoint à leurs desseins inavoués la désacralisation des Institutions.
Honorables,
Sur les principes, il faut conserver la paix sociale, mais l’on ne saurait accepter rouvrir les voies de la liberté à des criminels, des malfaiteurs vulgaires, des meurtriers, des «terroristes», à des bandits, militants avérés du désordre.
Par Pape Gora THIAM