Sur un tableau présenté par l’OMVS (Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal), il est montré l’évolution des débits d’eau mesurés dans les stations de Kayes (Mali) et de Bakel (Sénégal) suite au lâchage d’eau du barrage de Manantali. Les données indiquent des volumes importants d’eau déversés dans le fleuve Sénégal, avec des prévisions critiques de montée des eaux entre le 13 et le 18 octobre 2024.
Décryptage des données :
Kayes : Les débits d’eau, mesurés en m³/s, varient entre 4 236 m³/s le 13 octobre et 3 226 m³/s le 15 octobre, puis diminuent progressivement jusqu’à 4 741 m³/s le 18 octobre. La hauteur d’eau à Kayes est estimée entre 10 à 10,5 mètres au maximum, indiquant un niveau important de submersion.
Bakel : Le débit à Bakel est encore plus élevé, avec des pointes atteignant 5 283 m³/s le 14 octobre et 5 836 m³/s le 15 octobre. La hauteur d’eau pourrait atteindre entre 10 et 12 mètres, reflétant un risque encore plus marqué d’inondations.
Conséquences et risques :
Les « cotes d’alerte seront dépassées », ce qui signifie que toutes les stations hydrologiques le long de la vallée et du delta du fleuve Sénégal seront touchées par des inondations. Il est mentionné que les zones traditionnellement inondables seront particulièrement à risque.
Impact sur les populations :
- Inondations sévères dans plusieurs villages du département de Bakel, dans la région de Tambacounda, et une partie de la région de Matam, causées par les précipitations et les lâchages massifs d’eau.
- Risques majeurs pour les populations vivant le long du fleuve Sénégal, notamment dans des localités comme Podor, l’île à Morphil, la commune de Ballou, ainsi que les villages maliens longeant le fleuve.
Avis aux Autorités compétentes
Les autorités doivent impérativement renforcer les mesures de sécurité pour protéger les populations riveraines face à la montée des eaux, susceptible de provoquer des dommages importants, incluant des pertes agricoles, la destruction d’habitations, et des déplacements de populations.
La vigilance orange appelle à une attention accrue, mais, les risques réels pourraient nécessiter des évacuations préventives dans certaines zones à fort risque.
Pour faire face à la situation de catastrophe imminente causée par la montée des eaux du fleuve Sénégal, les autorités étatiques, en particulier le Ministère de l’Intérieur du Sénégal, doivent mettre en place une réponse d’urgence rapide et coordonnée pour éviter une aggravation des conséquences. Voici les actions prioritaires à envisager :
- Mise en place d’un plan d’urgence pour les populations :
Évacuations préventives des populations à risque vivant le long du fleuve Sénégal, notamment à Podor, l’île à Morphil, Ballou, et les villages maliens frontaliers. Des zones refuges doivent être aménagées, en collaboration avec les autorités locales et les forces de sécurité, pour recevoir les personnes évacuées.
Communication d’alerte maximale :
Il ne faut pas se voiler la face et informer juste et vrai. Utiliser les médias, les réseaux sociaux et les systèmes de télécommunication pour informer en temps réel les populations du danger imminent et des mesures à suivre. Distribution de kits d’urgence (nourriture, eau potable, médicaments, couvertures) pour les personnes déplacées et les zones susceptibles d’être coupées en raison des inondations.
- Renforcement des infrastructures de protection :
Construction de digues temporaires ou le renforcement des digues existantes dans les zones les plus vulnérables afin de ralentir la progression des inondations. Déploiement de pompes d’assèchement dans les localités fortement exposées à la montée rapide des eaux pour limiter les dégâts.
- Coordination inter-étatique avec les pays riverains :
L’OMVS, en tant qu’organisation internationale de gestion des ressources du fleuve, devrait être au cœur des discussions avec les pays voisins comme la Mauritanie et le Mali pour optimiser la gestion des débits et anticiper les déversements futurs.
Les discussions doivent aussi porter sur la révision des protocoles de lâchage des eaux des barrages comme celui de Manantali. Le lâchage aurait dû se faire avant la saison des grandes pluies pour éviter cette surcharge. Il est urgent de rectifier ces pratiques de gestion dans l’avenir.
- Surveillance et maintenance des barrages :
Inspection immédiate du barrage de Manantali pour évaluer les dommages potentiels causés par la crue. Un affaiblissement des installations pendant cette période pourrait avoir des conséquences désastreuses, notamment des brèches dans le barrage. Renforcement des mesures de sécurité autour du barrage pour éviter tout incident technique pouvant aggraver la situation.
- Collaboration avec la protection civile et les ONG :
Mobiliser la protection civile pour coordonner les interventions de secours, telles que l’assistance médicale, les opérations de sauvetage, et la gestion des camps pour les populations évacuées. Faire appel aux ONG humanitaires spécialisées dans la gestion des catastrophes pour aider à la fourniture d’aide d’urgence et de logistique.
- Préparation à d’autres risques potentiels :
Endommagement du barrage : Outre le risque d’inondation, il est impératif de surveiller les signes d’endommagement du barrage de Manantali, car des fissures ou des défaillances structurelles pourraient provoquer des inondations massives encore plus incontrôlables. Risque sanitaire : Avec les inondations, il y a aussi un risque accru de maladies hydriques telles que le choléra, la typhoïde et le paludisme. Des équipes médicales et des stocks de médicaments doivent être pré-positionnés dans les zones vulnérables.
- Révision à long terme des stratégies de gestion des barrages :
Une réforme de la politique de gestion des barrages sur le fleuve Sénégal doit être entreprise pour mieux planifier le lâchage des eaux, notamment en amont des saisons pluvieuses. Il est crucial d’améliorer la coordination entre les États riverains et de renforcer les systèmes de prévision hydrologique. *
En résumé, le Ministère de l’Intérieur doit agir rapidement et de manière décisive en déclenchant les mesures d’urgence pour protéger les vies humaines et les infrastructures. Le renforcement de la coopération avec les États voisins et les organisations internationales est également essentiel pour une gestion intégrée et efficace des risques.
Mesures préconisées à long terme pour une solution structurelle.
À long terme, le Sénégal gagnerait effectivement à réévaluer le projet de revitalisation des vallées fossiles, un programme ambitieux lancé sous le régime socialiste, mais abandonné après l’élection du Président Abdoulaye Wade en 2000. Ce projet aurait pu transformer le paysage agricole et environnemental du Sénégal, en particulier dans les zones semi-arides du nord et de l’est du pays, où l’agriculture reste vulnérable aux aléas climatiques.
Potentiel de revitalisation des vallées fossiles :
Les vallées fossiles, vestiges d’anciens cours d’eau, représentent une opportunité unique pour le développement agricole et la gestion des ressources en eau au Sénégal. Si le projet avait été mené à terme, il aurait permis de :
- Stocker les eaux pluviales et celles issues des lâchages des barrages (comme celui de Manantali) au lieu de les déverser dans l’Atlantique, réduisant ainsi le gaspillage des ressources hydriques.
- Augmenter la capacité de production agricole, en particulier dans des zones comme la vallée du fleuve Sénégal, grâce à une irrigation contrôlée. Cela aurait pu permettre la culture de céréales, de légumes, de fruits, et même le développement de plantations d’arbres fruitiers.
- Stimuler la pisciculture et l’agroforesterie : La création de lacs artificiels et de zones humides aurait offert des opportunités pour le développement de la pisciculture, augmentant la sécurité alimentaire et créant de nouvelles sources de revenus pour les populations rurales.
- Renforcer la sécurité alimentaire et réduire la dépendance aux importations alimentaires en favorisant une agriculture plus intensive et diversifiée.
S’inspirer du modèle du Burkina Faso :
Le Burkina Faso, avec son projet de revitalisation du Katanga, a démontré qu’il est possible de transformer des zones arides en terres fertiles grâce à une gestion intelligente de l’eau. En s’inspirant de cette approche, le Sénégal aurait pu transformer les vallées fossiles en zones de production alimentaire durable. Le succès du Burkina dans la gestion de ses ressources hydriques a permis de créer des bassins agricoles et piscicoles qui soutiennent non seulement les communautés locales, mais aussi l’économie nationale.
Les critiques environnementales et l’abandon du projet :
Le projet de revitalisation de vallées fossiles a été abandonné par le Président Wade, en partie sous la pression de certains groupes environnementalistes, qui ont mis en avant des préoccupations concernant les impacts écologiques potentiels de la revitalisation des vallées fossiles. Cependant, il est probable que ces objections aient été mal fondées ou exagérées. Avec une planification écologique minutieuse, il aurait été possible de minimiser les impacts environnementaux tout en maximisant les bénéfices économiques et sociaux.
Le gâchis actuel réside dans les centaines de mètres cubes d’eau libérées chaque année dans l’océan Atlantique, un flux continu de ressources hydriques perdues. Ce potentiel aurait pu être canalisé pour irriguer des terres agricoles et soutenir des projets de développement rural, particulièrement dans les zones où les besoins en eau sont les plus critiques.
La voie à suivre
Il est impératif pour l’État du Sénégal de :
- Réexaminer le projet de revitalisation des vallées fossiles, en le modernisant pour s’adapter aux réalités contemporaines, tant sur le plan technique qu’environnemental. Une nouvelle étude d’impact pourrait montrer comment utiliser cette eau pour des projets durables, tout en respectant les écosystèmes locaux.
- Investir dans des infrastructures de stockage de l’eau: Plutôt que de perdre ces précieuses ressources, le Sénégal pourrait créer un réseau de barrages secondaires, de lacs artificiels, et de systèmes d’irrigation connectés aux vallées fossiles. Cela permettrait de capturer et d’utiliser efficacement les eaux de crue.
- Encourager les partenariats internationaux et privés pour financer et soutenir le projet, tout en impliquant les communautés locales dans sa gestion. Cela permettrait de créer des emplois durables dans l’agriculture, la pêche, et la gestion des ressources naturelles.
En adoptant une approche similaire à celle du Burkina Faso, le Sénégal pourrait non seulement réduire la vulnérabilité des populations face aux aléas climatiques, mais aussi, créer une dynamique de développement durable basée sur une gestion proactive de ses ressources naturelles.
Babou Biram Faye
Journaliste-communicant