«Il n’y a pas, dans la vie d’un peuple, de situations qui ne puissent changer. Tout peut changer, mais rien ne changera sans l’effort des volontés de tous ceux qui dont le destin est en cause. Notre destin n’est inscrit dans aucune fatalité. C’est à nous qu’il appartient de le forger, pour nous-mêmes, et par nous-mêmes, et pour l’avenir de nos enfants. Mais l’avenir on le fait dès maintenant, en commençant par résoudre les problèmes d’aujourd’hui, et en menant des actions pouvant influencer positivement l’évolution ultérieure», disait l’homme de culture, le combattant pour notre dignité, Amadou Mahtar M’BOW. La malédiction de Cham n’existe pas. La rupture, ce n’est pas la chasse aux sorcières, les menaces, le verbiage, le populisme, les perquisitions ou les interdictions de sortie du territoire, c’est de travailler conformément à ses engagements électoraux, validés par la population. «Cela semble toujours impossible, jusqu’à ce que cela soit fait», disait un autre illustre africain, Nelson MANDELA (Voir mon article sur Madiba, Médiapart, 19 juillet 2019).
M. Amadou Mahtar M’BOW, dont la contribution particulièrement discrète, mais déterminante à la consolidation de la démocratie sénégalaise, est un grand Sage dont les recommandations ont abouti au référendum du 20 mars 2016, rénovant, profondément la démocratie sénégalaise. Ce référendum est aussi un hommage à cet homme hors du commun qui a choisi de mettre l’intérêt de l’Afrique hors des contingences politiciennes. En effet, en 2012, le président Macky SALL nomme M. M’BOW à une mission en charge de rénovation des institutions de la République. M. M’BOW avait aussi présidé les Assises Nationales qui ont été publiées chez l’Harmattan. Le rapport général des Assises nationales ouvertes le 1er juin 2008, a fait le bilan des cinquante ans d’indépendance et trace les perspectives de refondation de la nation sur des bases nouvelles. Le président Macky SALL a eu raison, dans ces moments importants de la vie politique sénégalaise, de faire confiance à une conscience morale constante représentée par le doyen Amadou Mahtar M’BOW.
Cet homme d’État a toujours été un insoumis et un rebelle, réclamant sans cesse et de manière résolue, la dignité pour les Africains. Ainsi, M. M’BOW a été un des leaders de la F.E.A.N.F., un syndicat étudiant exigeant l’indépendance immédiate de l’Afrique ; cette activité syndicale intense lui a valu d’être exilé, par les autorités coloniales, à Rosso en Mauritanie. M. M’BOW a une connaissance pointue du milieu rural et des questions d’éducation. Il a produit entre 1953 et 1957 diverses enquêtes qui couvrent des villages représentatifs du Sénégal. En 1958, avec Abdoulaye LY et Assane SECK (1919-2012), autour du Parti du Regroupement Africain, (P.R.A), Amadou Mahtar M’BOW réclame l’indépendance immédiate du Sénégal, et refuse donc l’autonomie interne. Sa production intellectuelle entre 1963 et 1970 couvre également des questions d’histoire et d’éducation, ainsi que de grands dossiers sur l’Afrique.
Pendant son mandat de Directeur général de l’UNESCO, M. M’BOW a fait entendre la voix des opprimés, à travers une plaidoirie pour plus de justice, d’égalité et de fraternité, dans une société internationale fondée sur le multilatéralisme et le respect des différences. C’est ainsi qu’il a produit, notamment, des contributions déterminantes sur le nouvel ordre économique international, la solidarité des nations, le temps des nations. Dans son ouvrage, «Le temps des peuples», M. M’BOW a recensé ses principaux discours et ses combats à l’UNESCO pour faire entendre la voix des pays du tiers-monde. Les thèmes abordés sont variés : le monde et la solidarité, problèmes d’hier et d’aujourd’hui, les périls, races et racisme, les droits de l’homme, le colonialisme, la paix et le désarmement, le développement, la culture, l’Afrique en changement, le nouvel ordre économique international, l’information, la communication, la préservation du patrimoine de l’humanité, la vocation de l’UNESCO.
Son indépendance d’esprit, sa lucidité, sa grande bienveillance forcent l’admiration. Il n’a pas échappé à tous les Africains que durant son glorieux mandat, en qualité de Directeur Général de l’UNESCO (1974-1987), il a exercé une influence décisive pour la promotion des valeurs culturelles de notre continent. «Il faut guider le navire : promouvoir la justice et la concorde entre les hommes, donner à chacun, par l’éducation, la possibilité d’exercer pleinement sa responsabilité d’homme, faire en sorte que la science serve à dompter le chaos des forces naturelles, que la culture, enfin, crée l’atmosphère propice à l’épanouissement des plus nobles capacités humaines», dit-il lors de son discours d’investiture du 19 novembre 1974. En effet, M. M’BOW a été sous-directeur de l’UNESCO de 1970 à 1974, puis Directeur Général de l’UNESCO de 1974 à 1987. Dans un ouvrage, il plaide pour l’entraide internationale, l’égalité de traitement entre tous les pays, le respect des particularismes culturels, la liberté de l’information et la juste répartition des moyens de communication. Les États-Unis ont quitté un certain temps l’UNESCO, pour protester contre cette politique tiers-monde de M. M’BOW. Après ses mandats à l’UNESCO, il sera pendant plus de dix ans enseignant au Maroc, avec résidence au Sénégal.
Amadou-Mahtar M’BOW est né le 20 mars 1921, à Dakar (Sénégal), dans une maternité où vivait à cette époque son grand-père maternel, Amadou CASSET, un tirailleur sénégalais de la Première Guerre mondiale, devenu par la suite employé au service d’hygiène de la ville de Dakar. Enfant, on était tellement fier de notre Amadou-Mahtar, qu’on avait bâti une légende suivant laquelle ses origines lointaines seraient des ancêtres peuls, des forgerons, originaires de Bélinaïdé, un village situé à 10 km de Danthiady, mon village natal. «Mes parents étaient originaires du Oualo, qui était une zone de contact entre les Ouolofs, les Maures, les Peuls et les Toucouleurs. Mon père vivait à Louga. Il est difficile de savoir d’où venaient mes ancêtres les plus lointains» dit-il. Amadou-Mahtar, de culture Ouolof, ayant grandi au sein de l’ancien empire du Cayor, parle le Peul qu’il a appris de sa grand-mère. L’origine des Peuls remonte à l’Égypte, suivant Cheikh Anta DIOP. De là son goût pour l’histoire «L’enfance d’entre nous a été bercée par des récits qui n’avaient rien de commun avec l’histoire telle qu’elle était enseignée dans les écoles coloniales et missionnaires», dit-il.