(Par Dr Aliou Gori Diouf)
«Dakar, grand prix des embouteillages», « Dakar capitale des embouteillages », tels sont là quelques titres qui ont eu à barrer la Une de journaux au Sénégal. Ces cris de cœur traduisent une réalité qui a incité les autorités depuis avant les années 2000 à faire de l’amélioration de la disponibilité, de l’accessibilité et de la qualité des infrastructures la panacée pour réduire de manière significative les coûts et la qualité des facteurs de production. ». Les infrastructures de transport sont en effet proposées et construites souvent pour adresser la question des longs trajets et des embouteillages. Ces derniers sont devenus un cauchemar pour les usagers et pour les autorités en raison de leurs conséquences graves et diversifiées. Elles peuvent être sanitaires, économiques, scolaires et académiques, environnementales et même sociales.
Les conséquences des embouteillages
Les conséquences sociales. Les embouteillages sont sources de tensions et de conflits latents ou ouverts entre usagers de la route. Il arrive fréquemment que des usagers, que ce soit les responsables des véhicules ou les passagers se donnent en spectacle jusqu’à ce que blessures s’en suivent. Ces conflits ont tant soit peu un impact sur la cohésion sociale en ce sens que des personnes supposées vivre en harmonie s’affrontent verbalement et physiquement. Or les affrontements verbaux ou physiques sont des expressions ouvertes de la violence. Cette dernière est un facteur d’instabilité sociale. C’est en ce sens qu’il faut voir les embouteillages comme source de d’affaiblissement de la cohésion sociale.
Les conséquences sanitaires. Les conséquences sanitaires directes des embouteillages peuvent renvoyer à des pertes en vies humaines ou en des états d’infirmité définitive. Cela arrive lorsqu’en évacuant les malades ou victimes, les ambulances ou le véhicule faisant office d’ambulance se trouve piégé dans les embouteillages et voit le temps d’accès à une structure sanitaire anormalement allongé.
Les conséquences économiques. Les conséquences économiques sont beaucoup plus remarquables. Les services, les activités commerciaux, les activités de transformation, les activités de production sont ralenties en raison des embouteillages. La fatigue engendrée par les embouteillages réduit la productivité économique des passagers. Ils entraînent une surconsommation énergétique et inflation des dépenses liées aux transports. En 2019, les embouteillages coutaient 108 milliards à l’économie nationale. Les pertes économiques engendrées par la congestion sont évaluées à 235 milliards de francs. Le coût relatif au carburant perdu en période de congestion est estimé à environ 104 milliards de Cfa. Les pertes économiques dues aux externalités négatives des congestions équivalent à 235 milliards par an. De 2000 à 2009, le Sénégal a perdu l’équivalent de 2000 milliards de francs à cause des embouteillages.
Les conséquences scolaires et académiques. Les conséquences scolaires et académiques se lisent à travers le décrochage scolaire et académique d’élèves et d’étudiants en raison des mauvaises conditions de transport auxquelles ils sont confrontés. Les retards dans les cours, le ratage de cours et la fatigue due au transport difficile affectent négativement l’acquisition de connaissances et les performances des élèves et étudiants. In fine, les embouteillages dégradent le capital humain national, pourtant principal intrant pour la transformation et le développement intégral et équilibré du pays.
Les conséquences environnementales. Les conséquences environnementales des embouteillages se traduisent par la pollution de l’air causée par la fumée dégagée par les véhicules constituée essentiellement de CO2 et comprenant aussi des substances nocives à la santé notamment les appareils pulmonaires. Les embouteillages nuisent à la qualité du cadre vie par les rejets de gaz à effet de serre et la pollution sonore qu’ils engendrent.
Quand la solution et le problème cohabitent
C’est pour adresser ces problèmes socio-économico-écologiques que de nouvelles infrastructures sont créées. Routes, autoroutes, échangeurs, ponts, bretelles voient le jour dans la plupart des capitales africaines. Mais ce à quoi on est en train d’assister c’est le contraire de ce qui est attendu. Il était attendu en effet une réduction des embouteillages, qui se traduirait par une fluidification de la circulation. Les embouteillages sont encore persistants aujourd’hui dans beaucoup de capitales africaines où pourtant un renouveau infrastructurel a transformé le visage de ces villes. Pour s’en rendre compte, souvenez-vous d’une de vos expériences de transport vers l’aéroport. Au moins vous avez eu à rater votre vol à cause d’embouteillages ou vous vous êtes retrouvés dans un stress qui vous a donné des sueurs froides pour avoir été à risque de rater un vol important pour votre vie. Cela est si vrai que parfois on se demande si la construction de ces infrastructures y compris de certaines autoroutes n’est pas de l’arnaque. On s’est retrouvés plusieurs fois à se demander pourquoi une seule autoroute permet de sortir de Dakar ? Pourquoi pas deux, trois, si les autoroutes servent vraiment à fluidifier la circulation intra-urbaine et inter- urbaine ?
Ce sont là des questions compréhensibles. Toutefois, ce point de vue comporte un gros biais. Le biais est de croire que le « tout infrastructure routière » est la panacée au fléau que constituent les embouteillages. L’amélioration du capital infrastructurel est certes importante mais loin d’être suffisante pour faciliter la circulation dans les villes africaines. La résolution des embouteillages exige une approche systémique. Il faut en effet combiner plusieurs mesures pour venir à bout du problème. L’ensemble de ces mesures peuvent être regrouper sous l’approche systémique qu’est «l’aménagement du territoire» qui inclut «l’aménagement urbain». En tant qu’approche proposée par la géographie pour équilibrer la distribution dans l’espace terrestre national les infrastructures et flux activités et de biens, l’aménagement du territoire permettrait aux infrastructures de transport de réaliser tout leur potentiel en matière de fluidification de la circulation des biens et des personnes.
L’aménagement du territoire, la voie royale
En conclusion, le problème des embouteillages ne peut être résolu uniquement par la construction d’une série d’infrastructures mais que ces dernières doivent être intégrées dans une approche globale de re-équilibrage de la distribution spatiale des infrastructures, activités et services. C’est le déséquilibre dans la répartition des activités et flux dans l’espace qui est en vérité la cause principale ou la cause profonde des embouteillages. Et c’est à cette cause qu’il faut s’attaquer. La solution proposée, c’est-à-dire, les infrastructures de transport urbain aggravent les embouteillages qu’elles sont destinées pourtant à réduire. L’aménagement du territoire est la solution aux embouteillages.
Par Dr Aliou Gori Diouf Géographe
Spécialiste planification sobre en carbone et résiliente au changement climatique aliou.diouf@gmail.com