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« À vos balais, citoyens! » Un appel lancé et relancé, en vain, comme un abracadabra (par Abdou Khadr Gaye)

À l’instar de ses prédécesseurs, le président Diomaye Faye lance sa journée de propreté, dite : « Setal suñu reew. » Et on a comme l’impression d’un déjà entendu, déjà vu, déjà connu… On parle même de piétinement. On parle de répétition de la même erreur. On parle et on reparle. Car le succès d’une telle entreprise nécessite l’implication de tous les acteurs ainsi que la concertation, la coordination, l’organisation et la méthode qui ont manqué aux initiatives précédentes : la propreté, dit-on, ne se décrète pas, elle se secrète: elle est une construction…

Pour avoir une ville propre, suggère le poète, il faut de la ferveur à l’entretenir. Mais pour qu’il y ait de la ferveur à l’entretenir, il faut que tout le monde s’y mette, même ceux-là qui le font moins bien. Le succès d’une telle entreprise, dis-je, dépend de la sincérité d’intention qui la sous-tend ainsi que l’engagement et la ferveur des acteurs. Or, l’initiative fleure l’insincérité ; et présentement, semble-t-il, nos concitoyens ont la tête ailleurs : le nouveau pouvoir inquiète (nous y reviendrons). En attendant, je propose ma contribution écrite en janvier 2020, intitulée : « À nos balais citoyens ! Et que la ville soit propre ! »

Tel semblait être le message de prise de fonction de Mme Soham El Wardini à la tête de la ville de Dakar. Tel semble être le message de fin d’année du président de la République, son excellence M. Macky Sall. Et tout le monde est d’accord que notre pays, notre capitale plus que n’importe quel autre coin du Sénégal, a besoin de coups de balai vigoureux, engagés et réguliers. Tout le monde le souhaite. Et ce samedi 4 janvier 2020, décrété journée nationale de la propreté par son excellence, a vu, bien sûr, la mobilisation de ministres, de maires et de militants et collaborateurs autour du souhait présidentiel. Ce qui, en soi, est une bonne chose. Mais cela ne suffit pas. Car l’engouement citoyen, me semble-t-il, n’était pas tout à fait au rendez-vous ; et l’affaire avait quelque peu des relents politiciens, malgré la présence du maire de Dakar auprès du président de la République… Car, en vérité, il faut plus que les ministres, les maires et leurs militants et collaborateurs pour entretenir la graine du souhait présidentiel et en faire un arbre : un grand fromager semblable à celui du penth de Mbot à Dakar Plateau…

En vérité le succès d’une telle entreprise nécessite l’implication de tous les acteurs ainsi que la concertation, la coordination, l’organisation et la méthode qui ont manqué au mouvement set setal de 1989. La concertation est la mère du succès et la propreté, dit-on, ne se décrète pas, elle se secrète. Pour avoir une ville propre, suggère le poète1, il faut de la ferveur à l’entretenir. Mais pour qu’il y ait de la ferveur à l’entretenir, il faut que tout le monde s’y mette, même ceux-là qui le font moins bien. Le succès d’une telle entreprise, dis-je, dépend de la sincérité d’intention qui la sous-tend ainsi que l’engagement et la ferveur des acteurs. Car, elle est bien plus importante et bien plus sérieuse qu’on ne le pense. Il ne s’agit pas d’un simple jeu pour passer le temps et tromper l’ennui, non ! Il ne s’agit pas d’une récréation d’écoliers. Il ne s’agit pas non plus de transformer les rues et avenues en scènes de théâtre pour politiciens et activistes en mal de reconnaissance. Il s’agit de mettre ce peuple en pente en lui montrant son étoile. Il s’agit, au-delà du simple acte de balayage, d’une transformation des consciences, d’un changement profond des comportements… Il s’agit, en vérité, d’un désir conquérant, d’une re-création, d’une révolution citoyenne qui, comme dit la chanson, verra se lever sur notre peuple un nouveau soleil, un nouveau jour, une nouvelle vision, un nouveau sentiment… Car celui-là qui prend un balai, s’il est sincère, doit d’abord balayer son cœur et son esprit. Et celui qui nettoie, s’il y met de la ferveur, nettoie aussi son âme…

Oui, l’entreprise est bien plus sérieuse qu’on ne le pense. C’est pourquoi je propose qu’on s’inspire du set setal de 1989 en le dépassant et en évitant les dérives qui l’ont entaché et finalement plombé, entre autres : les guéguerres politiciennes, la folklorisation et le racket. Je propose qu’on élargisse et organise mieux le cadre d’exécution du programme en y impliquant par contractualisation les populations organisées dans les quartiers de nos villes et villages autour d’associations sportives, culturelles, religieuses ou politiques. Je propose aussi, au-delà de l’acte de nettoyage et des Initiatives quartiers2 à encourager, qu’on travaille sur une Charte pour le civisme et la citoyenneté3 qui serait, en quelque sorte, un engagement citoyen volontaire et personnel pour le respect des institutions de la République, des biens et de l’espace public ; et à laquelle souscriront tous les Sénégalais, personnes physiques et personnes morales, le président de la République en premier, les ministres, les députés, les maires et les chefs de parti d’opposition et leurs lieutenants. Une caravane citoyenne pourrait accompagner la vulgarisation de la Charte et être l’occasion d’une grande sensibilisation au civisme et à la citoyenneté.

On pourrait aussi mettre à contribution, en plus des Organisations communautaires de base (Ocb), les musiciens, les comédiens (surtout ceux du théâtre forum), les plasticiens, les tagueurs, la presse, etc., en lançant les Prix du civisme et de la citoyenneté, récompensant, dans chaque domaine de compétence, les acteurs qui se seront le plus distingués. Youssou Ndour et Cheikh Ndigueul Lo, par exemple, pourraient donner du rythme au mouvement en reprenant leur titre fétiche Set dans un featuring avec les grands noms de la musique sénégalaise (Thione Seck, Baba Mall, Omar Pène, Ismaila Lo, Pape Fall, et d’autres). On pourrait aussi mettre à contribution les imams et les curées, ainsi que quelques figures emblématiques, très dynamiques et très actives, en la matière ; notamment Abbé Jacques Seck, Mame Thierno Birahim Mbacke Borom Darou, Cherif Al Walid Mané Ndiaye, Baye Njin Thiaw Laye, Serigne Ahmada Sy Diamil, Abdoul Aziz Sy Sidy Ahmed et bien d’autres.

Mais je propose surtout qu’on privilégie les quartiers les plus défavorisés en matière de collecte, qu’on respecte davantage les techniciens de surface qui sont les professionnels du nettoiement, qu’on améliore leur condition de travail et leur situation, qu’on organise mieux le système de collecte… Sans perdre de vue cette vérité : balayer est une chose, mais autre chose est la gestion des ordures collectées.

Pour finir, je pense qu’on ne peut pas envisager de rendre Dakar propre et laisser les ruines de Sandaga, au cœur de la ville, être un dépotoir et un refuge de malfrats. Il faut donc accélérer la réhabilitation du grand marché en y associant les commerçants et les riverains. Il faut couvrir le canal 4 et sa puanteur qui est, lui aussi, devenu un dépotoir sauvage et une balafre sur le visage de Dakar. Il faut reprendre celui de la Gueule Tapée qui menace ruine. Il faut penser au ravalement harmonisé des façades des immeubles et bâtiments du centre-ville. Et contenir les marchés et les gares routières, mieux organiser le stationnement des véhicules, maîtriser l’emprise des chantiers… Et replanter les arbres des trottoirs, aménager les ronds-points, les jardins et autres squares. Et construire des édicules publics… Et…, oui bien sûr, désamorcer la bombe écologique qu’est Mbeubeuss…

Bref, l’appel est lancé et relancé comme un abracadabra ; c’est connu. Il n’a pas fait échos, il est vrai. Mais, le souhait est partagé. L’action est nécessaire, urgente même… Entendons-nous donc sur l’essentiel… Entendons-nous, retroussons-nous les manches et mettons en branle notre désir de propreté… Oui ! À nos balais Emadiens4 ! À nos balais Ocbiens5 ! À nos balais, citoyens ! Et que la cité soit propre…

Ensemble, changeons de comportements et développons le Sénégal.6 Abdou Khadre Gaye-Janvier 2020

1/ Il s’agit d’Antoine de Saint Exupéry qui disait : « Et la belle danse naît de la ferveur à danser. Et la ferveur à danser exige que tous dansent – même ceux-là qui dansent mal – sinon il n’est point de ferveur mais académie pétrifiée et spectacle sans signification. »

2/ Il s’agit d’activités citoyennes organisées par les populations sur initiative propre tournant autour de set setal, de don de sang, de sensibilisation, etc.

3/ L’Emad a eu à expérimenter la Charte pour le civisme et la citoyenneté ou Pacte pour le civisme et la citoyenneté au lendemain du naufrage du Joola, suite à l’appel à l’introspection du chef de l’État de l’époque, Me Abdoulaye Wade. C’est à l’occasion de la caravane citoyenne de vulgarisation de la Charte que fut lancé par l’Emad l’opération médecin sans blouse, reprise plus tard par le ministère de la santé alors dirigé par le ministre Abdou Fall

4/ C’est le nom par lequel s’appellent les membres de l’Ong Emad

5/ Membres des Organisations communautaires de base

6/ C’est le slogan du Pacte pour le civisme et la citoyenneté lancé par l’Emad suite au naufrage du Joola

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Abdou Khadr Gaye, écrivain

Président de EMAD

 

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