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Requiem pour une Poste assassinée (Par Yoro BA inspecteur des postes)

Le feuilleton de La Poste se poursuit avec son lot de désolation. La Poste est en faillite, en cessation de paiement ; elle ne parvient plus à honorer ses engagements vis-à-vis des clients et des fournisseurs et les salaires sont payés par l’Etat. N’eut été son statut de société nationale détenue à 100% par l’Etat, elle aurait été liquidée depuis belle lurette.

Jusqu’à quand le protectorat de l’Etat va-t-il durer ? Il y a lieu de s’interroger, d’autant plus que le Président de la République a affirmé publiquement que l’on ne pouvait plus continuer à perfuser ces entreprises en difficulté, en réponse à une interpellation sur la situation de La Poste, alors qu’en ce moment-là, elle n’était pas encore concernée par cette assistance financière. Elle est donc avertie par ce lapsus. Mais, compte tenu du fait que l’approche politique a prévalu jusque-là dans les prises de décision concernant La Poste, il ne serait pas étonnant de penser que la date butoir de cette prise en charge, c’est l’élection présidentielle de février 2024 !

L’Etat ne gère pas les difficultés de La Poste de manière idoine. C’est cette perception que les gens ont de la situation de La Poste, sentiment confirmé par les réactions des travailleurs, des clients, de simples particuliers intéressés par la gestion publique et même au niveau de l’assemblée nationale.

J’ai déjà dit à travers mes deux précédentes contributions ‘’un postier, fils de postiers, écrit au Président de la République’’ et ‘’ l’Etat veut-il réellement sauver La Poste’’, que la démarche de l’Etat posait problème et que les solutions préconisées n’étaient pas adaptées au contexte. La Poste a été abimée, abandonnée et assassinée en bonne et due forme. Pour s’en convaincre, il faut faire la comparaison avec la gestion des dossiers de la SENELEC ou d’Air Sénégal au niveau desquels, on note beaucoup plus de rigueur dans la prise en charge des réformes, l’allocation des moyens ainsi que dans le choix des hommes ; contrairement à La Poste où les décisions sont prises au gré du climat social et/ou politique. Il est inadmissible de vouloir diluer dans la menace technologique, la responsabilité des différents dirigeants qui se sont succédé à la tête de l’entreprise. Il est bien vrai que le produit le plus identifié à La Poste, le timbre, est en déclin. Mais c’est un phénomène qui était prévisible et qui a duré une vingtaine d’années. En principe, en projection son cycle devrait aller jusqu’en 2028 voire 2030 comme La poste en France, son principal partenaire. De plus, il ne représente que 20 à 25 du portefeuille. C’est certes important, cependant, cela ne saurait être la principale source de faillite de La Poste. L’activité de vente de timbres n’est pas la seule mission de La Poste. Il est de notoriété publique que durant ces vingt dernières années, la mal gouvernance a été érigée en mode de gestion à La Poste. La durée du forfait et la nature des faits ont fini d’abîmer l’entreprise.

Quelques morceaux choisis pour nous édifier : le problème le plus grave c’est la destruction par La Poste de son propre produit de transfert d’argent. Dans ma précédente production je soutenais que La Poste avait accompli la prouesse de se créer une concurrence. En effet, elle a noué un ‘’partenariat’’ avec la structure Cellule System International (CSI) pour l’exploitation d’un produit de transfert électronique via ‘’son application’’. La Poste dans cette convention va exploiter un produit dénommé Call money, moyennant une commission de 23% sur les droits perçus. Cependant,

CSI a la latitude de commercialiser le même produit avec d’autres partenaires sous le label Wari. Sur le même segment, La Poste déployait déjà le mandat-fax qui était en forte croissance et était devenu le produit phare de l’entreprise en supplantant tous les autres et n’était confronté à aucune concurrence. Les droits de commission pour le mandat-fax était de 2 500 F contre 500 F pour Call money et Wari. Nul besoin d’être un expert en marketing pour comprendre que le nouveau produit va cannibaliser le mandat-fax. En moins d’une année la Poste a versé environ un milliard de francs à CSI, largement suffisant pour se déployer à travers des réseaux indépendants.

Jusque-là, on peut penser que ce n’était qu’une mauvaise inspiration. Mais lorsque des coïncidences troublantes se succèdent, le malaise s’installe. D’abord, c’est dans le local de la structure d’un haut responsable impliqué dans la mise en œuvre du projet de partenariat que CSI était domiciliée. Ensuite, lorsqu’éclata une guerre des chefs, l’un d’eux accusa l’autre de recevoir une commission occulte de 6% des 23%. Ce qui était plausible dans la mesure où les premières informations documentées faisaient mention d’une commission de 17% à verser à CSI et au finish ce fut 23%, soit une différence de 6% ! Enfin, on a aussi découvert que l’un des protagonistes était actionnaire dans CSI. Ce qui commence à faire beaucoup. On obtient le bouquet si on y ajoute la confidence d’un des chefs au retour d’une mission de l’Union Postale Universelle (UPU) en Malaisie que La Poste avait obtenu une application de transfert d’argent dans le cadre de la coopération. Cependant, cette application n’a jamais été déployée dans l’entreprise à ce titre. Si l’on sait que ce sont ceux-là qui ont effectué la mission qui sont au cœur de ce ‘’partenariat’’. Lorsque les gens ont réalisé ce qui se passait, il y eut un tollé général amenant les dirigeants à prendre des décisions à l’emporte-pièce. C’était trop tard, le mal était irréversible, la mort du transfert local de la Poste était programmée. Actuellement, il est marginal voire inexistant sur un marché où la Poste régnait seul. Il est difficile de trouver un exemple plus dévastateur du tissu économique de l’entreprise car affectant directement non seulement sa trésorerie mais surtout son marché. Néanmoins, il y a à foison d’autres pseudo-partenariats et actes nocifs qui ont largement contribué à la dégringolade de La Poste. Quelle autre appréciation peut-on faire lorsque le dirigeant a à sa disposition, chaque week-end, une suite dans un hôtel huppé pour la réception de ses militants. Ou encore les marchés de reconstruction ou de rénovation d’infrastructures en bon état et qu’en définitive on obtient des résultats de qualité moindre à des prix manifestement surfacturés. Dans le même sillage, il est à noter la distribution à tour de bras de subventions en interne et en externe grevant le budget pour des centaines de millions.

Il serait fastidieux d’énumérer tous les actes de concussion ou apparentés comme tels. Cependant, il faut rappeler que La Poste passe commande de matériels informatiques et télécoms, presque chaque année, pour des centaines de millions de francs Néanmoins, la perception qu’elle renvoie est une image d’une entreprise pas moderne et qui accuse un déficit de numérisation. Certains syndicats ont eu à dénoncer ces faits. Alors, pourquoi cela a-t-il perduré au point d’aboutir à la situation actuelle ?

Le constat est que La Poste a été abandonnée. Pourquoi depuis environ vingt ans aucun corps de contrôle de l’Etat n’est intervenu pour vérifier les graves rumeurs qui sourdaient de l’institution.

La cour des comptes n’est jamais intervenue à La Poste depuis 1999 année de sa création. Il y a eu, cependant, des velléités d’intervention, sans succès. Par exemple en 2013 l’Inspection Générale d’Etat (IGE) avait établi un ordre de mission qui n’a jamais été exécuté !

Cependant, il faut noter la saisine de l’Office Nationale de lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC) par le M23 pour ces faits graves révélés au grand public par diverses complaintes dont celles émanant de certains partenaires sociaux. Malheureusement, l’enquête qui avait vu plusieurs hauts cadres et les différents dirigeants concernés interviewés et des actes juridiques posés, n’a pas abouti, suite au départ des enquêteurs en chef après le limogeage de la Présidente madame Nafi Ngom. Si le déclin ne s’est pas fait sentir rapidement c’est parce que La Poste était assise sur un matelas financier résultant des dépôts des tiers et surtout de la compense assurée par le Trésor public.

Justement la rupture de cet équilibre précaire résulte de l’indiscipline d’un directeur général et de la mauvaise jugeote du ministre des finances. Pour rappel, c’est le Trésor qui se substituait à La Poste à la chambre de compensation de la BCEAO, charge à La Poste de le rembourser sous décade. Ce décalage de trésorerie permettait à La Poste de financer son exploitation. Cet accord de facilitation a été rompu de fait par le directeur général de La Poste qui a refusé systématiquement de payer son dû au Trésor de 2013 à 2018. Le cumul d’arriérés de la compense finit par dépasser la somme de 200 milliards ! C’est la fameuse dette de La Poste vis-à-vis de l’Etat qui est souvent évoquée ! Devant cette forfaiture, dont le seul justificatif était que le directeur général était un protégé très particulier du Président de la République ; le ministre des finances de l’époque, actuel Premier ministre, sous la pression du FMI, décida de mettre fin en 2018 au système de la compense tel que pratiqué jusque-là. Il prit deux mesures, certes irrégulières, mais suffisantes pour sauvegarder en apparence les intérêts de l’Etat. D’abord, il fit injonction aux industriels, en particulier les pétroliers, qui étaient les principaux bénéficiaires de la compense, de ne plus procéder à des versements à La Poste. Ensuite, il fit ouvrir à La Poste, un compte de règlement à la BCEAO où c’est Poste finances, sa filiale financière, qui siège à la chambre de compensation. Ce compte doit être alimenté en permanence à hauteur de 700 millions.

Ce sevrage est le facteur accélérateur de la crise financière qui était inéluctable. Compte tenu de tous ces aspects, il ne serait pas acceptable, d’imputer les difficultés de La Poste au choc technologique. La Poste a été abîmée, abandonnée et assassinée par ses serviteurs. Et ce n’est pas demain la veille qu’elle sera ressuscitée.

Aucune mesure concrète allant dans le sens d’un sauvetage effectif de La Poste n’est prise. D’un côté, le directeur général nommé il y a un peu plus d’un an et qui a bénéficié non seulement d’un état de grâce relativement long mais aussi du soulagement de la prise en charge des salaires, se complaint dans une position de sénateur. Cette situation aurait dû lui permettre de mettre son énergie dans la mobilisation de cash nécessaire pour la relance des activités, sans attendre un hypothétique concours de l’Etat. Il a plutôt pris un raccourci en décidant d’adapter la structure à sa personne, à défaut de pouvoir s’adapter lui-même ! Il n’est réellement pas dans son élément ; s’il était inspiré, compte tenu de son profil et sa structure d’origine, il aurait pu tenter, par un recours gracieux, de faire annuler ou alléger le redressement fiscal de 7 milliards infligé à Poste finances qui a provoqué un déficit dont le report à nouveau a rendu négatifs ses capitaux propres. D’un autre côté, les hautes autorités de l’Etat, en l’occurrence, le Président de la République et le Premier ministre doivent savoir que La Poste est un patrimoine non seulement socio-économique mais également culturel à caractère universel. Et en ce sens elle devrait être préservée voire classée. Ils devraient s’inspirer du cas de Casino dont la situation mobilise actuellement toute une ville, une région, un pays et le Président Macron a reçu une délégation de la région pour trouver des solutions pour éviter sa liquidation. Et aussi dans le registre de La Poste, que dire de l’intervention du Président Trump pour défendre la poste américaine pour qui le nouveau système de rémunération des frais terminaux était défavorable, faisant ainsi reculer l’Union Postale Universelle (UPU) organe des Nations Unions.

Par conséquent, le Président de la République qui est à l’origine de toutes les nominations des directeurs généraux depuis 2004, ainsi que son Premier ministre devraient se faire un brin d’honneur pour sortir La Poste de cette impasse.

Ô mon Dieu ressuscitez La Poste.

Yoro BA Inspecteur des postes et Services Financiers

Expert financier (certifié HEC paris) DESS Marketing et gestion commerciale DESS Audit financier, comptable et fiscal contrôleur de gestion.

 

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