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OUSMANE SONKO ET LA LOGIQUE PASTEFIENNE

Critique citoyenne

L’art de ruiner les institutions de la République

Quand je dis Sonko, il ne s’agit pas que du responsable politique, mais il s’agit surtout de la vision qu’il incarne, du chemin qu’il trace, du monde qu’il crée par son action (pas celui qu’il dit), du citoyen qu’il façonne… Quand je dis Sonko, il s’agit de tous ces mutants à rebours qui se sont fait les personnages d’un scénario qu’ils ont écrit eux-mêmes ou qu’on a écrit pour eux, et qu’ils confondent avec le monde réel. Ces Sénégalais déconnectés culturellement qui, au lieu d’agir sur le présent concret pour impacter le futur, veulent faire de leurs chimères la réalité. Ainsi donc, à les voir agir, on a le sentiment d’une fracture, d’un décalage, comme s’ils vivaient dans un film, leur propre film, on a l’impression d’un dédoublement, d’un mensonge permanent, d’une caricature de vie.

Quand je dis pastefien, je ne parle pas que des militants du Pastef, mais aussi de cette multitude qui peuplent la planète internet et dont les constituantes ont le cerveau dans leur tablette ou dans leur téléphone portable. Vous les trouverez sur les inforoutes cherchant à couvrir de chair leurs personnages, à crédibiliser leurs scénarios, à donner vie à leur monde et à s’attaquer à quiconque met en cause la réalité de leur fabrication ou ose dire que ce qu’ils font n’est pas bien ou ne s’appelle pas de la politique. Vous les verrez alors, plein d’une sainte colère, se plonger le nez dans les poubelles pour démontrer la pourriture de leur contradicteur, non sans répandre les déchets et empester l’air. Mais ils s’en fichent. Car pour eux, car chez eux, il y a deux camps, deux Sénégal, je devrais dire (comme dans les films) : celui des bons, c’est-à-dire eux-mêmes, et celui des mauvais : tous les autres.

Une logique de troupeau : Il y a donc les prétendus bons d’un côté et les prétendus mauvais de l’autre. Tout ce que font les uns est bon. Tout ce que font les autres est mauvais. Le bon qui rejoint le camp des mauvais devient mauvais d’office et vice versa. Pour comprendre un acte quelconque, plus besoin d’analyser, on cherche le camp supposé ou réel de celui qui le pose. Idem pour apprécier la pertinence d’une réflexion. Car on qualifie la personne non pas en fonction de ce qu’elle est véritablement, des réflexions qu’elle fait et des actes qu’elle pose, mais en fonction de son positionnement politique, quelles que soient, par ailleurs, les valeurs qu’elle incarne. Fini la complexité. Fini la tension, le doute et l’humilité. Fini la subtilité et l’intelligence de la nuance. Car il s’agit de simplifier le monde, d’inventer une logique pour tous, une logique de foule, comme on dit, une logique de troupeau. Et tout devient tellement simple, bien trop  élémentaire : il s’agit de taper dans l’œil et dans les oreilles des gens par l’insolence et la grandiloquence, oubliant que la vérité qui crève les tympans ne saurait profiter à l’intelligence. Alors se produit un renversement des valeurs spectaculaire : aligner des slogans creux et des révélations fracassantes souvent mensongères c’est faire un bon discours ; bien ou beaucoup gesticuler, c’est être éloquent ; transporter la rumeur en y rajoutant des couleurs s’appelle investigation ; parler beaucoup avec emphase signifie être savant ; savoir fabuler signifie être convaincant ; savoir insulter (surtout ceux qui incarnent le pouvoir et l’autorité) signifie être courageux ; s’entêter dans la bêtise est preuve de constance ; l’outrecuidance, c’est le comble du génie…

Et le mensonge triomphe et ne s’appelle mensonge que lorsqu’il dessert. Et l’injustice qui profite à soi est bonne, tandis que celle qui profite à l’adversaire est un scandale. Et l’on confond information et propagande. On confond journalisme et militantisme. On confond adversité politique et animosité. (- Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est bon ? Qu’est-ce qui est beau ?… – Ce qui arrange ma cause ou qui nuit à celle de mon adversaire. – Qu’est-ce qui est faux ? Qu’est-ce qui est mauvais ? Qu’est-ce qui est laid ?… – Ce qui nuit à ma cause ou arrange celle de mon adversaire.)  Car le slogan est connu : « lula naxari nex nama », c’est-à-dire : « ton malheur fait ma joie ». Et la politique, hélas, devient l’art du mensonge, du maquillage et de la roublardise. L’art de blesser l’honneur et la fierté, d’humilier et de traîner dans la boue. Et les pastefiens d’inventer un système d’amplification ou de brouillage des évènements où 6 + 9 n’est pas toujours égal à 15, mais parfois à 69 ou à 0, selon la situation… Car il s’agit, pour eux, de ravaler l’homme au rang de bête. Il s’agit de transformer le peuple en bétail politique facile à manipuler.

Et l’intolérance devient la règle : on s’insulte, on se dénigre, on piétine les institutions comme jamais on ne l’a fait dans ce pays. Chacun veut la liberté totale pour lui et les siens, l’esclavage pour les autres. Tout le monde rêve du pouvoir. Tout le monde cherche le buzz qui confère, semble-t-il, une sorte de légitimité. Et la racaille triomphe. Et l’on recrute des insulteurs sans vergogne, des fouilleurs de poubelles, des médiateurs intéressés, des prêcheurs hypocrites, des charlatans en tous genres. L’on paie des analystes bigles, des intellectuels aveugles, des analphabètes rusés. On promeut les contre-valeurs, oubliant, hélas, que la canaille turbulente ignore la morale, ignore l’intérêt général et la République. Et l’espace politique devient un cirque. Et l’hémicycle, une arène de singes où les députés se giflent, se donnent des coups de pied, se jettent chaises et chaussures… C’est à qui fera le plus de dégâts, c’est à qui ira plus loin dans l’insolence, le je-m’en-fichisme et le piétinement des institutions… Mais (il est bon de le préciser) si la logique pastefienne a si bien prospéré, en si peu de temps, c’est que le terrain lui a été préparé par une autre logique : celle-là incarnée par le parti au pouvoir et caractérisée par l’esprit de clan, le favoritisme, l’accaparement et l’arrogance, et qui dure depuis les indépendances, et prend de l’envergure d’alternance à alternance. (J’y reviendrai dans un prochain papier, inch Allah).

Quant au prophète du « gatsa-gatsa » (ta gueule-ta gueule), Sonko je veux nommer, il n’est donc pas l’inventeur de la logique pastefienne, même s’il en est le digne héritier, représentant et porte-étendard. Car elle est une sécrétion de notre peuple, tout comme l’indiscipline, le laisser-aller et le je-m’en-fichisme qui la suscite et qu’elle implique et renforce. Le patriote en chef se déclare pur sans sourciller ainsi que tous ses compagnons et alliés, dénonce l’impureté de ses adversaires et aime étendre sur la place publique leurs ordures. Il oublie que le bien et le mal coexistent dans le cœur humain, que l’homme n’est pas seulement producteur de richesse : il l’est aussi de déchets. Il oublie que fouiller dans les poubelles des gens pour en révéler la puanteur est la pire occupation qui soit. La meilleure c’est surveiller son propre cœur, ses pensées et actions. En vérité, ses contradictions sont énormes. Voyons ça ensemble, comme dans ma critique citoyenne « Yewwi askan wi ou Yeew askan wi » : l’homme flirte avec Khalifa Sall et traite Aminata Mbengue Ndiaye de « suceur de sang du peuple ». Il accuse Wade d’antisystème et grand détourneur de denier public, le fusille (ainsi que ses prédécesseurs), pour ensuite le ressusciter et battre campagne avec lui et chanter ses louanges. Il refuse de répondre à l’appel téléphonique de Karim sous prétexte qu’il a mauvaise haleine, pour ensuite lui faire l’accolade et l’embrasser en se réjouissant de sa bonne odeur. Comment peut-on ainsi se comporter et faire croire qu’on abhorre le reniement et oser qualifier Mansour Sy Djamil de versatilité et Serigne Modou Kara de complicité avec le « système » ? Comment peut-on, de bonne foi, accuser Thierno Alassane Sall et Abdou Rakhmane Diouf de mercenaires politiques, et « rompre le pacte d’amitié », et refuser de s’excuser, et ensuite leur tendre si nonchalamment la main, comme si de rien n’était, en les menaçant de mort politique s’ils ne marchent pas comme on veut ? Comment peut-on (comble de sottise !) traiter de tous les noms d’oiseaux ses adversaires politiques sans distinction pendant la campagne électorale des législatives, et solliciter leur soutien après publication des résultats pour avoir la majorité à l’assemblée, et s’étonner qu’ils se souviennent et tournent le dos ? Si de la sorte, en tant qu’opposant, on traite ses adversaires de l’opposition, comment traitera-t-on l’opposition si jamais on accède au pouvoir ? Comment peut-on dénoncer l’intolérance du pouvoir et faire montre d’autant de sectarisme ? Comment peut-on faire de la dénonciation tous azimuts, de l’insulte et de la caricature des armes politiques et crier au complot lorsque ses propres cibles ripostent avec les mêmes armes ? Comment peut-on traiter Pape Diop de dinosaure politique, de poisson pourri et autres méchancetés du genre tout simplement parce qu’il a choisi le camp présidentiel avec lequel il partage la même idéologie politique, cependant qu’on s’accommode Abib Sy et consort ? Comment peut-on critiquer le choix de Pape Djibril Fall de rester non inscrit pour marquer sa différence, comme si l’on ne savait pas que la démocratie c’est la liberté et la diversité des opinions et expressions ? Comment peut-on prétendre que le statut de non inscrit est contraire à la morale et à l’éthique, et cela après être resté soi-même non inscrit pendant toute une législature ? Comment peut-on traiter ses propres marabouts-souteneurs de saints et tous les religieux qui soutiennent les autres de traîtres ? Comment peut-on détourner les une de journaux de la place pour faire passer ses messages, sourd aux récriminations, et crier à l’acharnement lorsque la justice fait son travail, et parler d’humour pour se tirer d’affaire ? Comment peut-on s’acharner sur Gabriel Kane parce qu’elle est reçue par le khalife général des Mourides, cependant que l’on s’était acharné sur Mamadou Ibra Kane lorsqu’il dénonçait dans une chronique la réception par la même autorité religieuse d’Assane Diouf et Clédor Sène ? Comment peut-on confondre rotation des troupes sénégalaises au Mali et désengagement du Sénégal, et traiter avec autant de désinvolture nos Jambars de mercenaires à la solde de la France ?… Comment peut-on scander France dégage, taxer tous les médias français de colonialistes, fustiger tous les dirigeants africains qui les fréquentent et fricoter avec France 24 et RFI ? Comment un homme qui ambitionne diriger le pays peut-il cautionner les turpitudes des députés de Yewwi à la séance d’ouverture de la 14e législature ? Comment peut-il approuver la bastonnade de la dame Amy Ndiaye par deux collègues députés, et en pleine session parlementaire ? Comment peut-il aussi légèrement accuser Mame Mbaye Niang d’avoir été épinglé par un rapport qu’il détient et s’écrier après plainte qu’il n’y a pas diffamation parce qu’il a lu l’information dans le Net, alors qu’il avait juré détenir le document en question ? Comment peut-il, suite à une accusation de viol, d’abord nier avoir fréquenté le salon de massage où se seraient déroulés les faits, ensuite le reconnaître et en révéler les raisons (un mal de dos, parfois insoutenable, remontant à son enfance, et le manque de moyens financiers pour aller se faire soigner dans les institutions habilitées), et enfin refuser de répondre aux questions du juge, refuser de se soumettre à un test ADN et crier au complot, et insulter les magistrats, et hurler « gatsa-gatsa » en menaçant de faire attaquer leur domicile et de semer le chaos ?…

Tout simplement dire, pour terminer ce papier, qu’il est temps pour nos autorités politiques, religieuses et coutumières, pour nous tous, de nous pencher sur l’homme sénégalais, d’œuvrer au relèvement des mœurs et au renforcement du civisme et de la citoyenneté afin de mettre ce peuple au travail et que plus personne ne puisse se jouer de son intelligence. Il est temps pour nous de changer nos comportements, de respecter nos institutions et de développer notre pays, de soulager nos populations d’encadrer, d’éduquer et de former notre jeunesse. Il est temps de déparasiter l’espace politique… Dire aussi que si le contrôle citoyen est une bonne chose, le mensonge, la délation, les accusations et contre-accusations ne font pas avancer un pays. Rappeler avec Wolof Ndiaye que : « tooñ baxul »         (faire du tort à son prochain est mauvais), « toñarbi baxul » (répondre à un tort par un tort plus grand est mauvais), « feyantoo baxul » (faire de la riposte un principe de vie n’est pas bon) et que le « gatsa-gatsa »  (ta gueule-ta gueule) n’enfante que malheurs et regrets à travers des formules exprimant la tristesse et la compassion du genre « ndeysaan-ndesaan », « massa-massa »… Car si le bétail électoral sait donner des coups de tête et de cornes, le bélier digne de ce nom n’épargne personne, même pas son engraisseur. Sans oublier que toutes les violences sont mauvaises, aussi bien celle de l’argent, celle du pouvoir politique, que celle de la force politique. Je suis riche, donc j’ai raison. J’ai le pouvoir politique, donc j’ai raison. La foule est avec moi, donc j’ai raison… Tout cela annonce la fin de la République et doit être condamné et combattu. Vive le Sénégal ! Vive la République !

ABDOU KHADRE GAYE

Écrivain, président de l’EMAD

 

 

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