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Reprise des enseignements : les réserves d’un militant de l’éducation

Dans le cadre de son plan global visant à endiguer la progression du COVID-19, le gouvernement du Sénégal avait décidé de fermer les écoles et universités. En connaissance de cause, la communauté nationale avait applaudi et ses diverses composantes se sont mobilisées pour manifester leur solidarité agissante. Aujourd’hui, avec la décision de faire reprendre, dès ce mois de juin, les enseignements pour les classes d’examen (CFEE, BFEM, BAC), nous souhaitons partager nos réflexions autour des trois questions majeures ci-après :

1ère question : qu’est-ce qui a changé, rien que sur le plan sanitaire, qui puisse motiver et autoriser le retour des élèves et enseignants dans les écoles? En d’autres termes: nous sentons-nous déjà confiants et en mesure d’assurer la protection des élèves et enseignants, face à un COVID-19 impérial et ravageur?

2ème question : pourquoi avoir décidé de ne faire reprendre que les classes d’examen?
Dans l’opinion, cela obéit à une logique habituelle de chercher vaille que vaille à sauver une «année scolaire », dans un contexte où, globalement, l’Ecole se trouve assez mal en point depuis bien longtemps.

Nos constats et observations :

– Avant le COVID-19, les écoles n’étaient pas à plein régime, en plus de l’activation des plans d’actions des syndicats d’enseignants ; ainsi, sur les programmes, il restait encore beaucoup à faire, à tous les niveaux ;

– Dans ce contexte de pandémie, il est peu sûr de retrouver dans les écoles, notamment du public, des niveaux d’équipement, d’entretien, de motivation, d’organisation et de mobilisation sociale qui soient à la hauteur de l’agressivité du COVID-19 ; alors, face à nos actes d’insouciance au quotidien, dont le peu de respect accordé aux mesures édictées, est-il raisonnable d’espérer trouver ou créer mieux au sein de nos écoles, qui ne sont que le reflet de notre vécu communautaire ?

– A partir du 2 juin, nous entrons normalement dans une période où il pourrait bien pleuvoir (nous le souhaitons tôt et abondamment) dans de vastes zones du pays; il s’y ajoute que cette saison des pluies génère ou favorise un cadre environnemental peu reluisant, ainsi que des maladies liées aux inondations, eaux stagnantes, insalubrités, insectes et autres animaux nuisibles ; alors, si ces pluies sont au rendez-vous, on fait quoi ? On arrête les cours ? On annule les examens ?

– Quant au dispositif « Apprendre à la maison » et destiné aux classes sans examen, il semble plus pertinent en temps normal, pour jouer un rôle auxiliaire devant renforcer ce qui se fait à l’école ; dans nos conditions actuelles, ce dispositif ne saurait assurer le principal, d’autant que l’accessibilité de ses plateformes n’est pas offerte à tous les enfants;
– Il conviendra d’admettre que la qualité de tout dispositif alternatif de reprise, mis en place maintenant ou plus tard, doit être jugée, en premier, par rapport au respect du principe d’équité et à la volonté effective de donner les mêmes chances à tous les enfants.

3ème question : pourquoi ne pas avoir la sagesse d’accepter que cette année scolaire que l’on s’échine à récupérer à tout prix s’avère fondamentalement hypothétique ? Si l’on sait que cette reprise des enseignements se heurte à une évolution défavorable du contexte sanitaire, social et environnemental ainsi qu’aux difficultés à réunir les conditions pour assurer des cours de qualité et des performances aux examens?

Présentement et dans tous les secteurs d’activités, la santé, la protection sociale et la sécurité des acteurs (ici nos enfants et les personnels d’école) doivent nous importer mille fois plus qu’autre chose ; en plus, une année perdue (à cause du COVID-19) peut bien être rattrapée autrement et mieux.

L’acceptant ainsi, il s’agira d’un énorme défi national à relever, à travers la mobilisation de toutes les forces vives et des compétences du pays, afin de trouver ensemble les voies et moyens pour une sortie gagnante : nous le pouvons et le devrons, en tirant profit de toute cette période où le COVID-19 devrait continuer sa balade mortelle autour de nous, semble-t-il jusqu’au mois de septembre 2020, pour nous laisser un après-COVID à affronter résolument.
Ainsi, l’Etat pourra concentrer tous les moyens idoines pour l’accompagnement multiforme de la population, en coopération avec les collectivités territoriales, les organisations de la Société civile et les acteurs communautaires.

Dans cette dynamique, loin de vouloir la rejeter, il faut avouer que la formule « apprendre à vivre avec le virus » nous parait encore trop belle et prématurée, pour pouvoir prospérer.

Assurément, nous partageons tous le désir ardent d’avoir un système éducatif fonctionnel, stable et performant, sans lequel aucun développement n’est possible. Cependant, ayons l’honnêteté et le courage de reconnaitre que : pandémie COVID 19 / état d’urgence / couvre-feu / confinement / grisaille économique et angoisses du quotidien font un puissant cocktail qui, en plus d’avoir duré, devient trop lourd à supporter.

Enfin, nous gagnerions à arrêter de citer en exemple tel ou tel pays (notamment européen) qui aurait fait reprendre ses enseignements de telle ou telle manière, en ignorant ainsi délibérément que ce sont nos réalités qui sont déterminantes ! Notre dignité se gagne, s’exprime et se conserve aussi à travers notre souveraineté dans l’analyse de nos réalités et le choix de nos propres stratégies de développement. Notre Ecole mérite encore beaucoup plus de générosité, d’intelligence et de solidarités !

Kader NDIAYE, Consultant en Education/ Formation

 

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