Site icon DEVINFOS

Circoncision à Djilasse, un village Sérère: L’institut de formation, aujourd’hui dévalué

Jadis, une institution bien organisée et très respectée. Mais, aujourd’hui, la circoncision à Djilasse, commune dans l’arrondissement de Fimela, région et département de Fatick, agonise.

La circoncision à Djilasse est véritablement un établissement scolaire bien organisé et très respecté autrefois. Elle a, de nos jours, beaucoup perdu de sa valeur première. La circoncision appelée «ndut» en sérère, a son administration, son équipe pédagogique dynamique et des élèves engagés à acquérir un savoir, un savoir-vivre et un savoir-faire. Elle a ses programmes et ses matières à enseigner. Le «kumax» est le directeur de cette école de formation comparable à nos universités. Il est la personne morale et le responsable de tout le «ndut». Il est un «saltiki», un sage, un visionnaire et maîtrise tout sur la circoncision. Mais la prise de décision est collective et demande maints conciliabules. Le bureau du «kumax» est appelé «o mbaam». Les vieillards et les notables sont les seuls autorisés à y entrer. Ils reçoivent néanmoins leurs billets d’entrée le premier jour qu’ils se présentent. Le «ɡan», l’étranger en langue wolof, est un bâton posé au pied de la porte de cette case. Les premiers arrivants l’utilisent pour accueillir les nouveaux et les étrangers. A partir de là, on reconnaît les initiés à travers les réponses aux questions-pièges. Les non-initiés venus pour découvrir en voulant tromper la vigilance des éléments préposés à la surveillance du portail sont rudement bastonnés puis retournés à leurs domiciles. Les adultes n’y sont pas admis sauf quelques rares d’entre eux qui sont acceptées. Ils sont les acolytes de la direction, sa force mobile pour exécuter et faire exécuter des commissions et des ordres. Ils font office de salle de réunion où les décisions se prennent. La deuxième personnalité du «ndut» s’appelle le «kalma yaay no juul». Ce dernier est chargé de la surveillance mystique et ordinaire des circoncis. Il est choisi par le «kumax» sur proposition des notables du village dont le grand «saltiki». Il exerce les fonctions de directeur pédagogique et de surveillant général et est aidé aussi par les «ɡaynaak», les surveillants. Ces derniers accompagnent les circoncis à tout moment et partout. Ces «ɡaynaak» sont de deux types : le surveillant général et le surveillant particulier de chaque circoncis qui est son accompagnateur, son guide et son ange-gardien. Le «kalma» confie ce troupeau à un chef berger, qui est toujours à côté des circoncis. Le «ndaamaari» est un professeur. Il aime ses élèves, consacre des heures à les accompagner et à les instruire. Il vit dans le campement jusqu’au jour de la sortie du «ndut». Le «pad’» est le chargé des repas quotidiens de son circoncis. Il fait la navette entre le campement et la maison. Il l’accompagne à toutes ses sorties et le protège. Ce village circonstanciel porte le nom de «ndut» comme l’événement lui-même. C’est un campement périodique et dure au minimum trois mois pendant lesquels les circoncis et les enseignants, vivent en brousse. Ils ne viennent au village qu’à la fin du campement. Seuls les accompagnateurs viennent prendre la ration quotidienne. Le circoncis malade reste dans le campement et s’y soigne jusqu’à sa guérison ou son décès, chose extrêmement rare. Les anciens ont le pouvoir de maintenir vivant un circoncis virtuellement mort, jusqu’à son retour au village. Aucune femme n’ose s’aventurer aux alentours de ce bourg temporaire.

Toutes les disciplines enseignées dans nos classes aujourd’hui figuraient dans les programmes. La philosophie, la sociologie, la médecine et les sciences occultes, en un mot tout s’apprenait. Chants et danses sont des disciplines d’apprentissage ou des moyens et procédés pédagogiques. L’enseignement était beaucoup plus pratique que théorique. La méthode sans formulation théorique définie par les objectifs s’adapte mieux que les autres méthodes d’enseignement. Les objectifs spécifiques doivent se vérifier par des résultats concrets les procédés et les démarches contraignants. Le message compris ou non, le professeur passe à l’évaluation de ses élèves en leur faisant appliquer les données théoriques qu’ils viennent de recevoir. L’apprentissage est pratique. La répétition est privilégiée, ensuite le chant, l’explication, enfin l’expérimentation et la vérification des résultats. Toutes ces séquences sont reprises jusqu’à la maîtrise du résultat. L’enseignant tresse une corde, ses élèves l’observent et le suivent, geste après geste, sans mot dire. Le «selbe» défait la tresse deux ou trois fois et ensuite il laisse ses élèves essayer. La séance se répète autant qu’il leur faut pour maîtriser cette activité. Un certain matériel pédagogique conçu par les anciens sert de support aux apprentissages. Le «linje» était un de ces supports pédagogiques. Le «linje», un petit bâton tiré d’un arbuste très haut de taille et droit que nous appelons «mam». Il est entaillé de cinquante marques qui a chacune son nom. Tout «cuul» doit obligatoirement maîtriser son «linje», dès les premiers jours de son séjour au «ndut». Cette formation de l’homme continue après la sortie du «ndut». L’arbre à palabres, les réunions de famille, les rencontres de générations d’âge, ceux des autres villages et contrées servent de classe. L’apprentissage se fait sous forme de conseils.

Aujourd’hui, la circoncision est moribonde si elle n’est pas tout simplement morte. Depuis les années 1980, elle a commencé à s’égratigner peu à peu pour mourir de sa belle mort. Elle a perdu ce qui faisait d’elle un établissement scolaire, un centre de formation. L’ablation secrète du prépuce se fait tôt avant l’entrée au «ndut». Le «woong» disparaît pour toujours à Djilasse. Et avec lui,  relègue aux archives ce moment de jonction entre le «ngoomaar» et l’ablation du prépuce. L’anticipation volontaire de cette ablation annule aussi le «ngoomaar». L’organisation de la circoncision ne comprend plus que deux étapes : la phase mystique où phase occulte et l’entrée au campement des nouveaux circoncis. Aucune de ces phases ne se maintient dans sa forme et son contenu. La conversion de la population aux religions dites révélées et le développement des écoles, changent les mentalités. Les moyens de communication réduisent les distances. Les apports culturels étrangers transforment notre environnement, au quotidien. Ces idées nouvelles adoptées par les jeunes générations bousculent nos cultures. Elles les dominent et font disparaître beaucoup de leurs éléments très importants pour leur survie. Ainsi la circoncision se réduit à un jeu de grands, car elle est vidée de toute sa substance. Le «ndut» a perdu son statut d’école et sa durée de vie se résume à 4 heures maximum. Tout se fait entre dix-sept heures et vingt-et-une heures. Elle  a cessé d’être un événement collectif et devient individuel. Un père de famille décide de circoncire ses enfants dont le plus âgés souffle ses 11 bougies. Les candidats sont âgés entre sept et onze ans, si l’enfant n’est pas circoncis le huitième jour comme les religions le recommandent. Les candidats ne sont ni mûres ni solides pour supporter la durée du «ndut». Ces enfants ne sont plus demandeurs, le père propose et décide. Les bergers des circoncis, eux-mêmes sont le produit de ces quatre heures de séjour aux pieds du village. Ils ne connaissent absolument rien des valeurs et des techniques qui y étaient enseignées et donnaient vie et existence au «ndut». «L’essentiel pour moi est que mes enfants disent ‘’woor’’», dit Mame Gorgui Sène ; «woor», première expression de langage du «ndut». Il dévalue ainsi ce maillon de culture.

Dans l’histoire de Djilasse la circoncision comprenait deux étapes : le «woonɡ» et le «dut». Les circoncis avaient au minimum 20 ans, à l’année de leur circoncision. Ils étaient des adolescents solides. Ils pouvaient supporter toute maltraitance physique et même morale. Le «dut» était constitué de trois générations d’âge, au plus. Les plus jeunes revendiquaient au moins vingt hivernages. Ces jeunes adolescents pensaient déjà au mariage.

Ibrahima NDONG

Quitter la version mobile