Site icon DEVINFOS

Union Africaine: Limogeage de son ambassadrice aux États-Unis pour avoir parlé juste et…

A compter ce 1er novembre 2019, la Zimbabwéenne, Dr Arikana Chihombori Quao, perdra son poste d’ambassadeur de l’Union africaine aux États-Unis, 3 ans après  sa prise de fonction.

D’après SeneNews.com, la décision a été prise le 07 octobre dernier par le Tchadien Moussa Faki Mahamat, président de la commission de l’Union africaine, ancien Premier ministre et ancien chef de la diplomatie de son pays. La raison de ce limogeage est quelque peu choquante, honteuse, voire hideuse pour l’Afrique. Car en effet, c’est tout simplement pour son amour, son engagement et pour sa passion pour une meilleure Afrique aux lendemains chantants que cette panafricaniste a été congédiée. Très concrètement , elle paie cash pour avoir dénoncé tout ce qui tire l’Afrique vers le bas et hypothèque, de facto, son décollage : le franc CFA, le pacte que la France a forcé ses anciennes colonies d’Afrique à signer lors des indépendances pour s’assurer la «continuation de la colonisation», etc.

Médecin et activiste, le Dr Arikana Chihombori-Quao est la énième victime du franc CFA et des réseaux françafricains tapis à l’Élysée et dans les palais africains. Que s’est-il passé en réalité ?  Lors d’une rencontre avec la diaspora africaine à Washington, il y a quelques mois,  la militante panafricaniste et représentante de l’UA, a mis la main là où ça  fait mal. En effet, dans un discours engagé, énergique et empreinte de passion, d’émotion et d’empathie, le Dr Arikana Chihombri-Quao a parlé juste et vrai à la diaspora africaine des maux qui minent l’Afrique. Un plaidoyer fort retentissant qui a franchi l’Atlantique et résonné jusqu’au bord de la Seine, à Paris. Parmi les questions abordées dans sa prise de parole, celles du CFA et la stratégie de la France pour maintenir l’Afrique dans la pauvreté et le sous-développement.  La vidéo de cette intervention remarquable et remarquée, en anglais, circule sur les réseaux sociaux. (Voir dans la suite du texte).

La France pompe 250.000 milliards CFA

Selon la diplomate d’origine ghanéenne, la France lors des prétendues indépendances données à ses anciennes colonies, a forcé ces dernières  «à signer un pacte terrible pour la poursuite de la colonisation». Ce qui permet à Paris de pomper tranquillement des centaines de milliards de francs à l’Afrique chaque année puisque 85% des réserves bancaires des pays concernés sont déposées en France. «Aujourd’hui, la France sort de l’Afrique francophone plus de 500 milliards de dollars américains (250.000 milliards CFA). Nous, les Africains et les pays pauvres, donnons à la France 500 milliards de dollars US année après année», explique avec insistance la diplomate. Pourtant, elle ne dit pratiquement rien de nouveau concernant le CFA. Puisqu’en 2016, le journal  économique allemand avait donné la même information en parlant de 440 milliards d’euros.

Aussi, la désormais ex-représentante de l’UA aux USA, a-t-elle dénoncé avec  force les bases militaires françaises en Afrique qui ont très souvent  servi à  déstabiliser les pays africains. Et pendant que les pays africains se déchirent l’instigateur (la France)  profite pour piller leurs ressources naturelles. Poursuivant son réquisitoire, l’ambassadrice rappelle des leaders africains qui ont osé, dans le passé, entreprendre quelque chose de meilleur pour leurs pays, comme la monnaie par exemple, ont été souvent assassinés par la même France. «Quand les Africains  décident d’en finir avec le Cfa et de frapper leur propre monnaie, ils sont assassinés. Chaque fois que les leaders Africains essaient de faire quelque chose de bien pour leur continent, ils sont assassinés, la plupart du temps par la France», lance-t-elle face à la diaspora.

Faisant une incursion des décennies en arrière, dans l’histoire, la diplomate  souligne que c’est lors du projet de balkanisation de l’Afrique, à la conférence de Berlin que le sous-développement de l’Afrique a été méthodiquement planifié par les grandes puissances. En définitive, la diplomate a mis sur la table, et sans fioriture aucune, les maux qui minent l’Afrique en faisant un focus sur le CFA. En vérité, elle n’égrène pas ces maux pour le plaisir, mais elle fait un diagnostic pour appeler,  une fois de plus ,  à l’unité de l’Afrique afin que les choses changent et que la diaspora africaine soit un des leviers  de ce changement. Elle a appelé instamment la diaspora africaine à s’organiser et s’unir  à l’instar des diasporas indienne, chinoise ou juive qui sont mieux organisés et  participent efficacement au développement de  leurs pays respectifs. L’activiste ne pouvait certainement pas ignorer que sa prise parole  ne plairait pas, mais peut-être au point d’en arriver à ce niveau de représailles.

La main invisible de l’Élysée 

Il est difficile de ne pas voir la main invisible de l’Élysée derrière  le limogeage de l’activiste d’origine ghanéenne qui a précédemment, longtemps vécu au Zimbabwe, avant de déménager aux États-Unis. D’ailleurs, plusieurs sources concordantes contactées par des journaux confirment que son discours de vérité, d’une éloquence inégalable, n’a pas plu au palais de l’Élysée. C’est justement dans la foulée que  la France aurait contacté  le Tchad pour régler le compte de la dame.  Toutefois, le porte-parole de Mahamat Faki à Washington,  Ebba Kalondo,  récuse l’idée d’un limogeage  et  tente laborieusement d’expliquer sur CNN que Dr Chihombori-Quao était venue au terme de son mandat et que  son départ est une pratique diplomatique normale. «Dire que la cessation des fonctions de l’ambassadeur Chihombori est due à des déclarations qu’elle a faites ou à des opinions qu’elle a pu avoir pendant ses trois années de mandat est manifestement faux», explique Mme Kalondo. On est tenté de la croire, mais  ça parait très beau pour être vrai. Mais avec ce  discours de vérité qui met la France face à ses crimes, on peut bien s’en douter.

Deby rend-il l’ascenseur à la France ?

Le limogeage du Dr  Arikana  peut être choquant, mais pas particulièrement étonnant. Il faut dire que Idriss Deby est dans l’obligation, quelque part, de céder aux moindres caprices de la France  parce que son pouvoir ne tient que parce qu’il a Paris derrière qui le lui préserve.  Qu’il nous souvienne, plusieurs fois, l’armée française est intervenue au Tchad pour sauver le pouvoir de M.  Deby contre l’attaque des rebelles.  La dernière intervention  de l’armée française en date au Tchad, c’est  les 5 et 6 février 2019, où une faction rebelle de l’Union des forces de la résistance (UFR) avaient a fait une incursion à partir de la Lybie.

Précédemment, «en avril 2006 et février 2008, l’armée française a joué un rôle décisif d’appui à Idriss Déby (au minimum sur le plan du renseignement et de la logistique), lorsque des colonnes de rebelles venus de la frontière soudanaise portèrent les combats jusque dans N’Djaména (Iyebi-Mandjek, 2008). Plus récemment, au moment de la guerre en Libye (2011), puis au Mali, le dispositif Épervier se révéla à nouveau fort utile », rappelle le chercheur Géraud Magrin, dans un article intitulé «Les ressorts de l’intervention militaire tchadienne au Mali (2013)». Aussi, le chercheur estime-t-il qu’à travers l’engagement tchadien au Mali, Idriss Déby donnait l’impression de payer une dette pour le soutien français de 2008 tout en s’offrant aussi une petite revanche sur François Hollande, élu en 2012 qui a exprimé le besoin de mettre plus d’éthique dans les relations franco-africaines.  Donc le président tchadien  qui comme des voisins du Cameroun, Congo, ou de la Guinée Équatoriale, a l’ambition manifestement de mourir au pouvoir, doit bien de tels services  à la France.  Tant pis pour ceux qui sont révoltés par de tel agissement.

John Rawlings en colère

Suite à l’annonce du limogeage la panafricaniste, l’ancien président ghanéen, John Jerry Rawlings était dans tous ses états  et à juste raison. En fait, ce discours aurait dû valoir à la diplomatie une distinction plutôt qu’une sanction. Mais l’on peut dire chapeau bas à la Zimbabwéenne. Elle peut s’en est aller la tête haute. Digne et fière. Sa ligne rappelle bien Sylvanus Olympio qui avait dit aux colons qu’il ne trahirait jamais son pays pour un poste.  Pour son poste, la diplomate, entrepreneure et fondateur de Medical Clinics aurait pu adopter la philosophie des 3 singes de la sagesse dans la mythologie chinoise  : ne rien entendre, ne rien voir et ne rien dire comme beaucoup d’Africains . Mais elle n’a pas opté pour cette posture de facilité pour préserver ses intérêts égoïstes. L’ancien président ghanéen n’est pas le seul indigné par cette situation. Voyant  l’injustice de l’acte, une pétition a été lancée en ligne par le Congrès de la diaspora africaine, demandant sa réintégration. Le congrès estime que la diplomate avait été licenciée en raison de «l’influence et des pressions exercées sur les dirigeants et les peuples africains par les anciennes puissances coloniales d’Europe», rapporte la Bbc. Mais cette pétition n’y fera rien dans tous les cas les dés sont jetés.

De l’indépendance de l’Union africaine

Cet épisode pose réellement la question de l’indépendance de l’Union africaine et l’ascendance qu’a la France sur nos États. En vérité si la France peut avoir aussi autant de pouvoir que quelque part, à part, le  fait que Deby lui est redevable  elle tient les cordons de la bourse. Du moins en partie.  En effet, c’est connu que l’Union africaine a du mal à s’autofinancer et dépend des bailleurs de fonds et d’autres partenaires, la France y incluse. D’après certaines sources ce sont plus de 80% du  budget de l’UA qui provient des donateurs extérieurs. Et comme on le sait qui paie commande.  D’ailleurs, certains pays membres cumuleraient des arriérés et ne parviennent pas à s’acquitter de leur cotisation annuelle à l’UA. Conséquence : de nombreux projets restent lettre morte.

D’autre part, Moussa Faki a été proposé et soutenu pour prendre  la tête de la  présidence de la Commission  de l’Union africaine par son président Idriss Déby. C’est un secret de polichinelle que le pouvoir de Deby tient encore aujourd’hui grâce à la France. On se rappelle Idriss Deby avait imposé Mahamat Faky contre Abdoulaye Bathily, le candidat du Sénégal. Ce qui semblait d’ailleurs avoir jeté le froid entre N’Djamena et Dakar.

Mais c’est toujours avec des  anciennes colonies françaises qu’on voit de tels bizarreries. Parce qu’autant la même sanction aurait frappé un pays comme la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Sénégal ou le Gabon…, tous docile à l’Élysée),  autant on  ne doute pas que si le président de la commission était de la Gambie, du Rwanda, du Kenya, du Nigeria ou du Ghana, de la Sierra Leone, on n’aurait certainement pas  assisté à ce limogeage. Parce que manifestement ces pays d’Afrique anglophone sont eux bien moins aliénés que nous autres vis-à-vis de leur métropole.

La colère de Jerry Rawlings est assez éloquente pour le dire. Un Paul Kagamé doit aussi être dans ses  états face à cette situation. Il faut d’ailleurs préciser que Dr Arikana Chihombori-Quao n’est pas seulement débarquée de son poste.  Tout serait mis en place pour qu’elle n’occupe plus une haute responsabilité au nom de l’Union africaine où elle qui a passé des années. D’origine ghanéenne, Dr Chihombori-Quao,  a grandi dans un village du Zimbabwe avant d’émigrer  aux Etats-Unis depuis 1977. connue pour ses prises de positions publiques sur l’influence et la mainmise de la France sur ses anciennes colonies d’Afrique, ce limogeage ne va certainement pas arrêter la militante panafricaniste.

Quitter la version mobile