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Orientation pour la mise en oeuvre d’une initiative pilote de structuration des récupérateurs à Mbeubeuss

En avril 2018, WIEGO a lancé un nouveau projet intitulé « Réduction des déchets dans les villes côtières grâce au recyclage inclusif (ReWCC) » pour soutenir les organisations de ramasseurs de déchets dans trois villes côtières qui sont Buenos Aires (Argentine), Dakar (Sénégal) et Accra au Ghana. Ce projet vise non seulement à renforcer l’organisation et la représentation de leurs membres, mais aussi à assurer des moyens de subsistance plus sûrs et plus durables aux ramasseurs de déchets en les intégrant dans les systèmes municipaux de gestion des déchets solides.

Le résultat final attendu du projet est d’améliorer le réacheminement des déchets grâce à des programmes de recyclage inclusifs, qui contribuent à promouvoir un travail sûr et décent aux ramasseurs de déchets et à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans les villes côtières d’Amérique latine (Buenos Aires) et d’Afrique (Accra et Dakar).

Ainsi, WIEGO a confié au Laboratoire de Géographie Humaine (LaboGéHu) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, une étude de base portant sur les récupérateurs de déchets en relation avec le système formel de gestion à Dakar. La commande consistait à documenter les systèmes de gestion des déchets formels et informels de l’agglomération de Dakar; renseigner la fiche de données de « Green Partners » et élaborer le profil socioéconomique et organisationnel des récupérateurs et les risques sanitaires et professionnels. Le rapport restitue les résultats de l’étude.

L’approche méthodologique  repose sur une méthode de collecte d’analyse croisée de données qualitatives, quantitatives et spatiales. La collecte de données qualitatives comprend trois volets : la revue de la littérature, la conduite d’entretiens auprès des parties prenantes de la gestion des déchets et l’observation des pratiques au niveau de la décharge. L’enquête quantitative a consisté à un recensement des récupérateurs présents à la décharge de Mbeubeuss du 18 au 20 octobre 2018 qui a permis de dénombrer 1584 récupérateurs qui ont constitué la base de sondage.. Au total, un échantillon de 99 récupérateurs a été tiré pour l’enquête individuelle. L’enquête a été conduite à Mbeubeuss le samedi 03 novembre 2018. Le questionnaire a été fourni par le commanditaire de l’étude. L’analyse spatiale a mobilisé les données cartographiques du recensement et celles portant sur les circuits de collecte recueillies auprès de l’UCG.  Les données qualitatives ont été exploitées de manière thématique et celles quantitatives, d’une analyse statistique descriptive uni, bi et multivariée.

Les résultats sont organisés autour de 4 points : (1) le système formel de gestion des déchets ; (2) le profil sociodémographique et les conditions de travail des récupérateurs ; (3) la structure organisationnelle, et (4) l’évaluation de la place des récupérateurs dans le système.

Le système de gestion des déchets à l’échelle de l’agglomération urbaine de Dakar repose sur 3 cadres. Le Cadre institutionnel est régi par plusieurs textes cadres qui en codifient la nature, la gestion, les compétences, l’organisation et le financement de sa gestion. Selon la nature des déchets, la tutelle de la gestion varie. Ainsi le Ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement à travers l’Office National d’Assainissement du Sénégal (ONAS) gère les déchets liquides, le Ministère de l’environnement, les déchets industriels, celui de la Santé les déchets hospitaliers dangereux (Biomédicaux) et celui en charge de l’Aménagement du territoire et des Collectivités Locales, les déchets solides municipaux. La gestion des déchets dans l’agglomération urbaine de Dakar connait une instabilité, suivant la succession des régimes politiques, passant des collectivités locales aux sociétés concessionnaires privées (Alcyon, AMA international, VEOLIA) après un intermède de sociétés d’Etat (SIAS, SOADIP). Depuis 2015, elle est confiée à l’Unité de Coordination de la Gestion des Déchets solides (UCG).

La dimension environnementale de la gestion des déchets relève du Ministère de l’Environnement à travers la Direction de l’Environnement et des Etablissements Classés (DEEC) et le Comité National sur les Changements Climatiques (COMNACC).

Le cadre organisationnel et technique de mise en œuvre de la gestion des déchets solides s’appuie sur trois acteurs clés : L’Unité de Coordination et de Gestion des déchets solides (UGC), les collectivités locales et les prestataires de services dont les concessionnaires et les bureaux d’études.

L’Unité de Coordination et de Gestion des déchets solides (UCG) constitue aujourd’hui le bras technique de l’Etat sur les aspects opérationnels et stratégiques de la gestion des déchets solides ménagers sur l’étendue du territoire national. Elle a pour mission d’élaborer la stratégie nationale de gestion intégrée et durable des déchets. La deuxième composante est constituée par les Collectivités locales et l’Agence de Développement Municipal (ADM). Même si les ordures ménagères sont une compétence transférée par le Code des collectivités locales, les initiatives se limitent à des opérations ponctuelles et de sensibilisation des populations. L’Agence de Développement Municipal (ADM), elle a pour rôle d’Appui institutionnel aux collectivités locales. Elle aide aujourd’hui les collectivités locales à la prise en charge des compétences d’intercommunalité dont les déchets et à la mobilisation de financement des bailleurs notamment autour de la reconversion de la décharge de Mbeubeuss La troisième composante est constituée par les concessionnaires de transport des déchets qui assurent le transfert quotidien des déchets à la décharge sous forme de prestations de service (location de véhicule avec chauffeur) à l’UCG. Bien que situés hors du système formel, les charretiers contribuent beaucoup à la gestion des déchets dans la ville de Pikine.

Enfin, les institutions de recherche et bureaux d’études, 4ème composante du système assurent la production des données. Exemple : l’Institut Africain de Gestion Urbaine (IAGU) et le cabinet d’études « Environnement-Déchets-Eaux » (EDE).

Le diagnostic du système relate les problèmes soulevés par les acteurs qui  varient d’une structure à l’autre avec quelques constantes. Ainsi les problèmes majeurs du système de gestion des déchets sont l’absence d’une vision globale sur le secteur, la place marginale des collectivités territoriales dans la gestion des déchets, l’instabilité institutionnelle,  l’absence du volet valorisation, les contraintes de financement, et l’ignorance des récupérateurs.

Les solutions préconisées sont pour l’essentiel de développer une approche basée sur une vision globale du secteur, d’orienter l’action vers des mécanismes de valorisation intégrant le tri en amont pour anticiper sur l’ampleur des déchets (DEEC), de réformer le cadre institutionnel de gestion des déchets pour asseoir un ancrage institutionnel pour donner plus de place aux collectivités territoriales et renforcer l’intercommunalité. Les parties prenantes préconisent également l’intégration des déchets putrescibles dans un système valorisation biologique adapté de type compostage et de la  valorisation énergétique dans les politiques de valorisation des déchets solides.

Etat des lieux sur la production, la collecte et l’élimination des déchets

Selon les hypothèses de l’UCG, la quantité annuelle de déchets produits dans l’agglomération urbaine de Dakar peut être évaluée 893 159 Tonnes de déchets. Si le taux de couverture de la collecte des déchets est de plus 80% à l’échelle l’agglomération dakaroise, en 2016, les zones non couvertes par l’UCG s’étendaient sur 7741,2 ha contre 14802,16 ha. Sur la décharge sur une production estimée à 893 159 tonnes 800 871 tonnes avaient été transportés soit un gap de 92 288 tonnes (10,33%). Pour ce qui est du traitement et valorisation des déchets, le COMNAAC signale l’absence de dispositifs adéquats et fonctionnels de gestion des déchets solides. Au niveau de l’agglomération de Dakar, il n’y a pas d’actions spécifiques en matière de promotion d’activités de tri.

La géographie de la décharge de Mbeubeuss

La décharge ouverte en 1968 est à l’origine un lac asséché de la dépression des Niayes entre les latitudes 14°17’ et 14°50 Nord et les longitudes 17°16’ et 20’ Ouest, à environ 30 kilomètres au Nord-Est de la ville de Dakar. La superficie estimée à 150 ha en 2007 atteint 175 ha en 2018.  La dynamique d’expansion de la décharge rencontre celle de l’habitat, le tout au détriment des zones de culture notamment maraîchères, et des espaces naturels.

L’espace est structuré autour de quelques villages et de lieux dits dont la toponymie est significative d’évènements, de lieux : Gouye Gui (baobab en wolof) et Baol les plus anciens villages, Abord, Yémen et Darou situés sur d’anciennes plateformes. En dehors des habitations, l’économie du déchet s’organise autour de trois lieux fonctionnels. un lieu de pesage appelé pont bascule situé à l’entrée de la décharge (environ 300 camions par jou). un lieu de récupération, la plateforme actuelle  aujourd’hui situé à plus de 3 km de la route de Malika et des lieux de vente et de stockage (packs) sont situés le long de la route menant à la plateforme

Le profil des récupérateurs

Les femmes représentent un plus du quart des 1584 récupérateurs recensés à Mbeubeuss soit 26%. Le¼ des récupérateurs a moins de 30 ans quel que soit le sexe. Chez les hommes, un récupérateur sur cinq à moins de 20 ans.

Un peu plus de la majorité (53,5%) des récupérateurs enquêtés n’a exercé aucune profession avant de s’adonner à la récupération. Parmi ces récupérateurs sans profession passée, presque le cinquième (19%) s’est déclaré élève au moment de l’enquête. Les récupérateurs ayant une profession dans le passé représentent 46,5% de l’échantillon. Ils étaient dans l’artisanat (41,3%), le commerce (21,74%), l’agriculture (11%), l’emploi domestique (6,52%), le transport (4,3%) et autres métiers (15,2%).

 

par ordre d’importante, les matières plastiques (55,56%) et l’aluminium (20%), le verre, le fer (13%) sont les principaux matériaux récupérés. Les matières organiques sont principalement récupérées par les femmes.

La collecte des déchets constitue la principale source de revenus de 89% des récupérateurs enquêtés. Presque la moitié (49,5%) des récupérateurs privilégient la vente quotidienne des matériaux récupérés, à défaut la semaine (34%) voire le mois (10%).

La vente de matériaux récupérés procure un revenu mensuel inférieur à 50 000 francs CFA à plus du tiers des récupérateurs. Plus d’une femme récupératrice sur deux appartient à la catégorie des faibles revenus soit 60% en saison sèche et 54% en saison des pluies. Seules 20% des femmes disposent d’un revenu supérieur à 100 000 francs CFA alors que ce pourcentage est de 25% chez les hommes.  Seuls 16.6% en saison sèche et 11% en période d’hivernage chez les hommes, et 3,23% chez les femmes lors de la saison des pluies gagnent un revenu supérieur ou égal à 200 000 f CFA.  Les 70,6% hommes disposent de revenus additionnels provenant de l’agriculture, du commerce, de l’artisanat et de la restauration.  Les récupérateurs (plus de 88%) passent l’essentiel de leur temps sur la décharge : au moins 6 jours par semaine l’année.

L’environnement de travail des récupérateurs

Les récupérateurs ne disposent d’aucun équipement à l’exception de son crochet,  les matériaux collectés sont transportés vers les lieux de de tri et de stockage souvent dans des sacs en bandoulière.

Les activités de tri et de stockage des déchets collectés par les récupérateurs se font en général sur la décharge. 86% des récupérateurs stockent les matériaux collectés avant la vente. 73% les transportent vers les lieux de tri et de stockage. L’opération de tri se fait dans l’emplacement du récupérateur (54,5%), dans celui d’un grossiste, d’un autre récupérateur (32%) et dans d’autres lieux (13%) comme la plateforme par exemple à Mbeubeuss.

Les récupérateurs qui transportent les matériaux récupérés hors de leur zone de travail représentent 72,7% de l’échantillon. Les camions des concessionnaires (30,56), la charrette (54,2%) et le transport en bandoulière (12,5%) sont les principaux moyens utilisés.

 

Risques sociaux et sanitaires

Les agressions physiques sont le premier danger ressenti sur le site (32, 14%). Dans les mêmes proportions, un peu moins du tiers des récupérateurs (29%) ont ressenti un danger dans les interactions sociales avec des personnes à Mbeubeuss. Elles affectent plus 1 femme sur 5 (20,7%) contre 1 homme sur 6 (16,7%). Les autres dangers sont la présence de seringues et d’autres métaux, les flux incessants de camions de transport de déchets.

Les récupérateurs déclarent être exposés à des substances dangereuses comme le goudron, l’acide, les déchets médicaux, liquides, le plomb, la poussière, la fumée et les odeurs. Les maladies les plus fréquentes évoquées sont, le lumbago (26), la dermatose (19) et les infections respiratoires aigües (Asthme, Tuberculeuse, Toux), et la nausée à cause des vers intestinales. Ils ont recours aux les structures sanitaires, à la médecine traditionnelle voire à l’automédication. Ils expliquent la faible fréquentation des structures sanitaires par le coût onéreux des services sanitaires, leur éloignement, les charges familiales, le manque de temps et l’absence d’assurance ou de couverture sanitaire.

La structure organisationnelle des récupérateurs

Les récupérateurs de la décharge de Mbeubeuss disposent d’une seule structure organisationnelle dénommée « Bokk Jom ». D’après les résultats de l’enquête, 24,2% sont membres de l’organisation. 55% disent avoir participé à l’élection de leurs représentants, 30% la trouvent l’élection sans intérêt, (20% disent s’être abstenus. 71% ont déclaré avoir participé aux ateliers et réunions organisée par celle-ci. 74% pensent que leurs dirigeants ont les compétences nécessaires pour négocier avec les partenaires institutionnels. Les avantages tirés de l’adhésion consistent à des formations (45,5%), des dons (45,5%) et à une hausse des prix de vente des matériaux (9%). Toutefois, malgré les démarches de plaidoyer auprès des autorités (Préfet, Maire, Police) pour la reconnaissance de leur travail, le statut social des récupérateurs n’a pas évolué dans le cadre du droit du travail. Enfin, elle dispose d’un centre de santé qui n’est plus fonctionnel. Il en est de même du Centre Polyvalent de Formation créé à la suite d’un projet de retrait des enfants de la décharge.

Le rôle des récupérateurs vu par les acteurs du système dans le système de gestion des déchets

Ils considèrent d’une manière générale les récupérateurs à la périphérie du dispositif de gestion des déchets parce que la valorisation n’est pas intégrée dans la politique de gestion. Ils ne sont pas organisés, mais plutôt tolérés. Mais vue la place importante qu’ils occupent dans l’économie urbaine populaire et leur fonction environnementale, il y ‘a un besoin d’appuyer et de formaliser les structures organisationnelles, de renforcer les capacités des récupérateurs qui donnent une possibilité d’augmenter la valeur ajoutée des déchets récupérés.

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